Denys Arcand brillait par son absence hier après-midi lors de la rencontre de presse avec les journalistes sherbrookois pour la sortie de L'âge des ténèbres. Non, il ne boudait pas, même s'il a déclaré ne plus jamais vouloir revivre le tourbillon d'entrevues et de festivals qui a suivi Les invasions barbares.

«J'avoue que j'étais un peu fâché après toute la cabale qu'il y a eu à Montréal. Mais quand je fais une tournée de promotion avec mes acteurs, malheureusement, les journalistes ont tendance à se concentrer uniquement sur moi et à ignorer mes acteurs», explique-t-il au bout du fil, tout juste avant l'avant-première d'hier soir au cinéma Galaxy. Par contre, après la projection, Denys Arcand a répondu aux questions de tout le monde.

Plusieurs hypothèses se bousculent dans sa tête quant à la vive critique de la presse.

«Peut-être parce que c'est un film d'extrêmes: le burlesque extrême côtoie le désespoir extrême, et il se peut que cela rebute les gens. Mais peut-être aussi que mon personnage principal, en tournant le dos à la gloire médiatique (donc à un monde où les journalistes sont rois), pose un geste difficile à recevoir pour la presse. Mais ce n'est qu'une supposition.»

Les acteurs Sylvie Léonard, Didier Lucien, Camille Rioux-Léonard et la productrice Denise Robert étaient aussi au rendez-vous pour remettre les pendules à l'heure et refaire une profession de foi inébranlable envers L'âge des ténèbres. Sylvie Léonard parle même de désinformation.

«Comment se fait-il que nous avons eu une ovation de douze minutes à Cannes et que le lendemain, dans les journaux, on parlait d'un accueil tiède?» demande l'actrice, qui a été particulièrement outrée quand la critique a tourné à l'insulte. «Pour reprendre les mots de Marc Labrèche, il y a eu un manque d'élégance là-dedans.»

Denise Robert n'a pas lu ni écouté les commentaires. «Quand on a passé trois ans sur un projet à essayer de faire le mieux que l'on peut, on est trop fragile. Je comprends que la critique fait partie du métier, mais il y a eu dérapage.»

«À Cannes, nous n'avions rien entendu de ce qui s'était dit, raconte Didier Lucien. La première question lors de la conférence de presse fut: «Comment réagissez-vous au fait que votre film ne soit pas bon?» La deuxième: «Qu'allez-vous faire maintenant que votre carrière est finie?»» affirme-t-il.

Une pomme est une pomme

En plus d'avoir rencontré un cinéaste très professionnel, «complice, toujours souriant, qui ne dévoile pas ses angoisses de réalisateur sur le plateau», Sylvie Léonard a adoré interprété la femme du personnage principal, une agente d'immeubles froide, voire inhumaine.

Elle raconte la séquence où Sylvie Cormier explique à un client que, lors de la vente d'une maison, le suicide de sa femme équivaut à un vice de construction. «Denys ne voulait vraiment aucune empathie, comme si j'avais parlé de maçonnerie. Sylvie, c'est ça: elle dit des horreurs comme si elle parlait de cuisine. J'ai trouvé ça très difficile, mais quel beau défi!»

Interrogée sur la dureté des constats de Denys Arcand dans L'âge des ténèbres, Denise Robert ne considère pas le réalisateur comme enragé contre l'inconscience collective. «C'est un homme qui a vu évoluer sa société sur plusieurs générations et qui, avec le temps, voit s'effriter avec déception les grandes ambitions pour sa collectivité. Il présente simplement une certaine réalité dont il est très conscient. Mais son film a une note d'espoir: les choses les plus simples sont toujours là. Une pomme est encore une pomme aujourd'hui», dit-elle, en référence à la dernière image du film.

Didier Lucien salue surtout l'indépendance et le courage du cinéaste. «Après un Oscar et un million d'entrées, il a décidé de faire un film sur un gars dont la vite est plate!» s'exclame-t-il. «Autant dire qu'il ne s'est gardé aucune porte de sortie!»