Avec un bonnet rouge et une pancarte en guise de hotte, une centaine de réalisateurs et réalisatrices ont joué au père Noël hier en distribuant aux passants de la rue Saint-Denis des DVD de leurs propres films. «Ça revient au même que vous les achetiez ou que nous vous les donnions», a lancé le président de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ), Jean-Pierre Lefebvre.

Érik Canuel en sait quelque chose. Le réalisateur l'affirme sans détour: «Tous les créateurs devraient avoir leur part de tarte.» Plus de 85 000 exemplaires du DVD de son film Bon Cop, Bad Cop se sont vendus sans qu'il perçoive un sou. «Je n'ai rien eu sur le DVD, sur la diffusion télé ou sur les ventes à l'étranger», dit-il.

Sans rancoeur, mais non sans ras-le-bol, les réalisateurs ont exprimé hier leur exaspération et leur inquiétude face à la loi fédérale qui ne les reconnaît pas comme auteur d'une oeuvre audiovisuelle. «La loi du copyright date de 1924. Il y a eu des révisions, mais seulement par petits bouts», explique Sylvie Groulx.

Cet «oubli» juridique en engendre d'autres. Résultat: le réalisateur peut devenir le parent pauvre d'un film. «Le réalisateur, c'est le moins payé d'un film», s'indigne Chloé Sainte-Marie, la compagne de Gilles Carle. Elle se souvient: «Je voyais Gilles travailler comme un chien pour des salaires dérisoires. Il est moins payé que les vedettes et il n'a pas de droits.»

Que ses films soient diffusés à la télévision ou fassent l'objet de rétrospectives ne change rien pour Gilles Carle, qui n'en tire aucun revenu. «Quelqu'un de comparable à Gilles, en France, n'aurait pas de problème pour survivre, constate-t-elle. Je ne comprends pas pourquoi on laisse les patrimoines vivants dans la dèche. Il fait des soirées-bénéfice ou on vend ses dessins pour qu'il vive et paie ses soins.»

En effet, au Canada, aucune entente n'existe avec les télédiffuseurs pour garantir aux réalisateurs des redevances, à la manière des compositeurs de musique ou des scénaristes, et à la différence de la France. «J'ai travaillé sur L'auberge du rebut global. Ça a été diffusé en Europe, et j'ai reçu un chèque! J'étais surpris. Ici, tu es payé une fois et c'est fini», constate le réalisateur Michel Pelletier.

Quant à l'exploitation en salle ou en DVD, si les producteurs reconnaissent les réalisateurs comme des auteurs, cela ne garantit pas la perception de droits. Pour cela, il faut d'abord que le réalisateur négocie de gré à gré avec le producteur. Et s'il obtient des droits, il ne peut s'agir que d'un pourcentage du profit du producteur.

Or, un film québécois est rarement profitable. De plus, négocier avec un producteur n'est pas toujours chose aisée. «On est dans une société où, au niveau de l'audiovisuel, on est toujours considérés comme remplaçables. Moi, j'ai une excellente relation avec mes producteurs, mais si on négocie trop fort, on se fait dire non», explique Érik Canuel.

Du jamais vu

La question de la reconnaissance a mobilisé des réalisateurs venus de la télévision (Marc Cayer, Frédéric Cusson, Podz), du cinéma (Michel Brault, Ghislaine Côté, Kim Nguyen, Francis Leclerc, Louis Bélanger, Denis Villeneuve) ou du documentaire (Sylvie Groulx, Benoît Pilon, Karina Goma). Arthur Lamotte, fondateur de l'ARRQ, le confiait lui-même: il n'a jamais vu un tel rassemblement.

«C'est une cause importante, c'est viscéral et fondamental, croit Jean-Marc Vallée (C.R.A.Z.Y.). Qui est l'auteur d'un film? C'est une question de principe plus qu'une question d'argent.» C'est aussi l'avis de Philippe Falardeau (Congorama). «Il y a l'économie, mais aussi la maternité morale de l'oeuvre. On a beaucoup parlé d'argent, mais il faut revendiquer la reconnaissance du travail.»

La manifestation d'hier aura, espèrent les réalisateurs, permis de se donner un peu de visibilité auprès du législateur. «C'est un premier pas. Si on ne le fait pas, cela ne changera pas», croit Charles Binamé. À présent, «il va falloir rassembler la Guilde canadienne des réalisateurs, qui nous soutient, et aller à Ottawa. Je pense que ça augure bien», dit Lise Lachapelle, directrice générale de l'ARRQ.