Pour son premier long métrage, Lola Doillon a choisi de s'attarder à ce moment précis de l'adolescence où tout semble basculer en même temps. Présenté au Festival de Cannes dans la section Un certain regard, Et toi t'es sur qui ? révèle une cinéaste qui assume parfaitement sa filiation.

D'abord, les présentations. Oui, cette jeune femme de 32 ans «est la fille de». Elle a baigné dans le milieu du cinéma toute sa vie. Sa mère, Noëlle Boisson, est monteuse. Son père, Jacques, est l'un des auteurs-cinéastes français les plus singuliers, vénéré - parfois aussi contesté - pour le regard qu'il pose sur les êtres et sa capacité à décortiquer les sentiments qu'ils éprouvent. Lola Doillon assume aujourd'hui son hérédité très sereinement.

«Ce ne fut évidemment pas toujours le cas», confie-t-elle au cours d'un entretien accordé à La Presse à Paris sous la conduite d'Unifrance, l'organisme chargé de la promotion du cinéma français dans le monde.

«Quand j'étais moi-même adolescente, je me suis rebellée comme tout le monde. À cette époque, la dernière chose que j'envisageais était de travailler dans le milieu du cinéma. N'est-ce pas très classique?»

Étant vite éprise d'autonomie, Lola commence pourtant très jeune à gagner sa vie sur des plateaux de cinéma. Pendant toutes ces années, elle a du mal à s'autoriser des envies de réalisation.

«À l'âge de 28 ans, je me suis remise en question. J'estimais qu'il était temps de franchir le pas. Alors je me suis essayée en élaborant un court métrage. Dès la première heure du premier jour de tournage, l'expérience m'a complètement ravie. J'adore l'atmosphère des plateaux!»

Ce court métrage remarqué, intitulé Majorettes, s'attardait à la vie des préadolescents. «J'ai eu envie de creuser davantage en racontant l'histoire d'adolescents un peu plus vieux dans Et toi t'es sur qui? , précise l'auteure-cinéaste. Cette période de l'existence est fascinante à explorer car elle est éminemment intense. Elle ne tolère aucune demi-mesure. Et se révèle en constante ébullition. Et puis, pour attaquer le long, je ne me sentais peut-être pas encore tout à fait prête à diriger des ad (elle se reprend en souriant), enfin des acteurs professionnels. Je préférais faire appel à des inconnus par l'entremise d'un casting sauvage.»

La langue du réel

Avec la ferme intention d'éviter à tout prix le regard condescendant d'un adulte qui impose une vision sublimée de l'adolescence, Lola Doillon a tenu à rester fidèle à la réalité de ces jeunes. Y compris sur le plan du langage. Les protagonistes d'Et toi t'es sur qui? s'expriment dans une langue qui, c'est le moins que l'on puisse dire, n'a plus grand-chose à voir avec le français «international». Le fait que le film prenne l'affiche chez nous sans aucun sous-titre risque aussi de dérouter certains spectateurs.

«J'ai beaucoup réfléchi à cet aspect des choses, explique la réalisatrice, car la langue qu'utilisent les jeunes est tout aussi difficile à comprendre pour nous, Français âgés de plus de 30 ans! Mais j'ai décidé de ne pas tricher sur ce plan car le ton aurait alors été faux. Or, ma préoccupation était justement de faire écho à la réalité, en filmant ces ados à leur hauteur. De cette façon, on entre vraiment dans leur vie. Les écouter demande un effort. J'admets volontiers qu'un temps d'adaptation est nécessaire, mais je crois qu'on en vient à comprendre les codes de leur langage au bout d'un moment.»

Sélectionné au Festival de Cannes dans la section Un certain regard (la section officielle non compétitive du Festival), Et toi t'es sur qui? fut avantageusement remarqué par la presse française. Lola Doillon attribue cette attention à sa sélection cannoise.

«Il s'agit d'un tout petit film, fait-elle remarquer. Il est certain que la présentation sur la Croisette lui a donné une visibilité qu'il n'aurait probablement pu avoir autrement. Il y a d'ailleurs plus d'adultes que d'ados qui sont allés voir ce film en salle. Cela dit, les ados qui l'ont vu étaient heureux de me faire savoir qu'ils n'avaient pas dormi pendant la représentation; qu'ils s'étaient même bien marrés! Je l'ai pris comme un ultime compliment!»

Sa vocation de cinéaste ne faisant désormais plus aucun doute, Lola Doillon s'apprête à plancher sur un nouveau projet. Elle ne craint pas les comparaisons inévitables qui seront faites avec les films de son père.

«Notre approche est foncièrement différente même si, forcément, des thèmes se recoupent, souligne-t-elle. On m'a beaucoup demandé si je ne craignais pas d'être comparée à lui, étant donné qu'il a aussi tourné avec des adolescents. J'ai alors toujours envie de répondre que mon père a abordé beaucoup d'autres thèmes. Et que s'il fallait que je m'attarde à cela, il ne me resterait plus à faire que des westerns, des films d'horreur ou des films de cul!»