Catherine Hébert a eu la piqûre pour le documentaire quand elle a vu le film Massoud l'Afghan, de Christophe de Ponfilly. Ce jour-là, l'étudiante en journalisme a su ce qu'elle voulait faire dans la vie: «L'idée d'aller à la rencontre de l'autre et de prendre du temps avec les gens, raconte-t-elle. Quand cette rencontre-là est sincère, le reste va un peu de soi.» Rencontre avec une mordue du docu.

Le plus récent film de la cinéaste montréalaise Catherine Hébert, De l'autre côté du pays, projeté cette semaine au cinéma Parallèle de l'Ex-Centris et diffusé dans une version écourtée à Télé-Québec le 4 février, raconte une guerre méconnue, celle que subit la population du nord de l'Ouganda, parquée dans des camps par le gouvernement du président Museveni sous prétexte de les protéger des rebelles de l'Armée de résistance du seigneur. Sauf que lesdits camps, où vit 80% de la population du nord de l'Ouganda, sont une sorte de «guichet unique» pour les rebelles qui les pillent, violent les femmes et enlèvent les enfants, au vu et au su d'une poignée de militaires pas du tout équipés pour les défendre.

De l'autre côté du pays, pourtant, est tout sauf un cours de géopolitique. On n'y voit pas l'ennemi et les dirigeants du pays ne se manifestent que dans des documents d'archives sortis clandestinement de l'Ouganda. La cinéaste a préféré donner la parole à cinq victimes de cette guerre oubliée dont le propos n'est pas purement politique, exception faite de Jackson, un chauffeur qui ne mâche pas ses mots et se moque bien des conséquences que cela pourrait lui valoir.

Catherine Hébert s'est rendue pour la première fois en Ouganda en 2004, à l'instigation d'une chercheuse américaine «fatiguée d'écrire des rapports qui restaient sur des tablettes»: «Elle avait vu le tout premier film que j'avais fait, Un thé à l'ambassade (sur un Néerlandais qui a survécu miraculeusement aux camps d'internement japonais) et m'avait dit: "Tu ne revictimises pas les victimes." Ce qu'on voit souvent en documentaire et dont elle a une sainte horreur. Moi aussi.»

Pourquoi l'Ouganda?

Elle a rapporté un court métrage de ce premier voyage, Des mangues pour Charlotte. Obsédée par ce pays-là, choquée par la chape de silence au-dessus de ce drame humanitaire, son idée était faite, elle allait y retourner parce que ce sujet «méritait un long métrage». Il aura fallu trois ans, le temps de trouver les 400 000$ pour faire son film. «C'est long, trouver l'argent, dit-elle. Si tu veux tourner en Irak, on comprend, tandis qu'avec moi, c'était toujours la première question: "Pourquoi veux-tu aller en Ouganda?"»

Catherine et ses complices, Sébastien Gros (images) et Mélanie Gauthier (son), ont franchi le barrage militaire avant de passer le Nil vers le nord avec des visas de touristes, en se faisant passer pour des travailleurs d'une ONG. Dans leurs bagages, ils cachaient de petites caméras dont ils devaient recharger les piles avec la batterie d'une voiture dans cette région dévastée où l'électricité se fait rare.

Mais le défi principal était ailleurs: «Il y a un tel fossé entre la beauté des paysages luxuriants, la douceur des gens et cette espèce de violence latente, je me disais est-ce que je vais réussir à la faire passer? Et ce qui était frappant pour moi, et important de transmettre, c'est la dignité de ces gens-là; moi, je n'aurais pas supporté ce qu'eux traversent.»

Catherine Hébert a tourné deux fois au Bangladesh - sur les femmes vitriolées et tout récemment sur la face cachée du microcrédit - et elle revient tout juste du Congo. Mais elle se défend bien de céder à l'exotisme. D'ailleurs, son documentaire précédent, Voici l'homme, suivait une troupe de théâtre amateur de Montréal, dirigée par un prêtre, qui joue la passion du Christ.

«En toute sincérité, De l'autre côté du pays est plus dans mes cordes, reconnaît-elle. Mais j'ai très peur de faire de la misère humaine mon fonds de commerce. Et quand je vous disais que ce qui m'intéresse c'est d'aller à la rencontre de l'autre, ça peut aussi être l'autre dans mon quartier, Hochelaga-Maisonneuve.»

Tournerait-elle de la fiction? Catherine Hébert s'esclaffe: «Non. Je me trouve chanceuse, ça ne m'intéresse pas. Le documentaire, même quand le projet fonctionne, ça reste des moyens très modestes, mais je ne m'en plains pas. C'est difficile aussi pour les écrivains, les peintres J'espère que mon film va avoir droit à un certain écho. Tant mieux si ça peut m'aider, mais c'est surtout pour les Ougandais qui m'ont tellement dit: "Tu vas en parler, hein, de ce qui nous arrive?"»