À la veille de la mise au monde de leur film, les artisans de Tout est parfait jouent de prudence. Et disent être pleinement conscients de la responsabilité sociale liée à un filmdont le récit tourne autour d'un pacte de suicide.

La première mondiale de Tout est parfait a lieu ce soir au Festival de Berlin. Sélectionné dans la section Panorama, le premier long métrage d'Yves-Christian Fournier aurait longtemps été considéré pour la compétition officielle. «Le fait de l'avoir programmé en soirée le premier samedi de la Berlinale indique à quel point ce film est soutenu par les organisateurs», précise la productrice Nicole Robert. Qui compte évidemment profiter de cette visibilité pour mesurer le potentiel de ce long métrage sur le marché international.

La rumeur qui entoure présentement Tout est parfait, qui ouvrira jeudi les 26es Rendez-vous du cinéma québécois avant de prendre l'affiche en salle le lendemain, est d'autant plus remarquable qu'elle est inattendue. Le film s'est en effet monté très vite, dès que le romancier Guillaume Vigneault a pu accoucher d'un scénario à soumettre aux institutions de financement public.

«La deuxième version que Guillaume a écrite était déjà si extraordinaire que nous sommes allés soumettre le projet tout de suite, explique la productrice. Je n'avais même pas encore annoncé mes intentions auprès des institutions, car je ne croyais pas que tout cela allait prendre forme aussi vite. Ce fut une surprise à leurs yeux. Les évaluateurs ont eu un vrai coup de coeur pour ce projet, à part ceux de Téléfilm Canada (voir encadré «Un coup de coeur», ci-dessous).»

Pourtant, Tout est parfait n'a rien du produit manufacturé. Et tout à voir avec le cinéma. Une conversation avec le réalisateur Yves-Christian Fournier est inévitablement truffée de multiples références cinématographiques, allant de celles puisées à même le cinéma qu'il admire (celui de Paul Thomas Anderson autant que celui de Terrence Malick ou de Darren Aronofsky) à celles qui l'ont directement inspiré. À cet égard, cet ancien lauréat de la Course destination monde souligne la façon qu'a Michael Winterbottom (A Mighty Heart) d'intégrer des éléments documentaires dans ses fictions. Il attribue aussi sa décision de faire le pari de la sobriété et du réalisme dans son approche au choc ressenti après avoir vu Elephant de Gus Van Sant.

«Un peu comme lui, j'aime jouer avec le médium. J'adore les ambiances, les silences, la lenteur. C'est en traçant des portraits qu'on parvient à chercher l'âme des personnages.»

Un thème difficile

Au départ, il y avait cette idée de raconter une histoire autour d'un pacte de suicide. Le thème, tabou d'entre les tabous, s'est imposé à lui.

«Huit personnes se sont suicidées dans mon entourage, dont quatre amis très proches confie le réalisateur. Forcément, cela remue beaucoup de choses intérieurement. Aussi trouvais-je essentiel d'emprunter une approche réaliste. Il n'était pas question de transformer les protagonistes du film en héros romantiques. J'ai fait appel à Guillaume pour l'écriture car j'estimais que son style pouvait convenir à cette approche.»

Ainsi est née l'histoire de Josh, un adolescent «ordinaire» qui se coupe du monde après que quatre de ses amis eurent été retrouvés sans vie. Seuls Mia (Chloé Bourgeois), l'ancienne amoureuse de l'un des suicidés, et Henri (Normand D'Amour), le père endeuillé d'un autre disparu, semblent pouvoir un peu l'atteindre.

Dans le rôle de Josh, Maxime Dumontier, jeune acteur de 19 ans, offre une performance rien de moins qu'éblouissante. «Maxime, c'est notre prochain Roy Dupuis, affirme Fournier sans ambages. Il a fait sa chance en ayant déjà eu l'occasion de travailler avec de bons cinéastes, notamment Louis Bélanger et Francis Leclerc. Il m'est arrivé déjà riche d'une très bonne formation!»

Une responsabilité sociale

De par sa nature même, un film comme Tout est parfait est évidemment appelé à susciter des discussions. Pleinement conscients de leur responsabilité sociale, les artisans du film disent être quand même préoccupés par les attentes que pourraient avoir certains spectateurs.

«Je crains que certains d'entre eux aient trop envie de réponses, dit en outre Yves-Christian Fournier. Le suicide est un phénomène qui touche beaucoup plus de gens qu'on ne croit. Tant mieux si l'on en parle enfin. Parce qu'il est anormal qu'un problème qui se règle d'abord et avant tout par la communication soit tu.»

«Cela dit, poursuit-il, nous avons fait nos devoirs. J'ai consulté des personnes ressources afin de m'assurer que ce film ne puisse servir d'incitation. D'où ce choix du réalisme. Il n'y a pas d'effets poétiques, au contraire. Les gestes sont montrés de façon très crue. Malgré la nature du sujet, je crois surtout avoir fait un film très vivant.»