La boxe a donné au cinéma des films mémorables, dont le premier RockyRaging Bull, de Martin Scorsese, et Million Dollar Baby, de Clint Eastwood. Louis Choquette s’est longtemps demandé s’il y avait encore un film à faire sur ce sport si souvent porté au grand écran.

Réalisateur des téléséries les plus originales des dernières années (Temps dur, Tabou, Rumeurs, Cover Girl, Les aventures tumultueuses de Jack Carter), Choquette a fini par trouver la réponse au bout de six années qui ont fini par mettre K.-O. ses craintes. La ligne brisée, qui prend l’affiche la semaine prochaine, est le résultat de son combat personnel contre un sujet qui avait tout pour laisser place à la redite et au déjà-vu.

«Au départ, je ne cache pas que c’était une commande sur l’univers de la boxe», explique celui qui signe sa première œuvre pour le grand écran. «Je partais de loin. Comme beaucoup de monde, j’avais plein de préjugés sur ce sport, qu’il s’agissait seulement de deux gars qui se tapaient sur la gueule.»

Après avoir assisté à un combat entre Éric Lucas et Omar Sheika, le déclic s’est fait dans son esprit. Il a eu le sentiment que la boxe pouvait servir de toile de fond pour relater l’histoire d’une amitié masculine brisée par une tragédie entre deux amis de longue date, en l’occurrence Guillaume Lemay-Thivierge et David Boutin, qui incarnent les deux boxeurs de son film.

Le souvenir d’une «histoire très personnelle avec deux grands amis» est venu se greffer à une ébauche de scénario que Michelle Allen (Le 7e round, Diva, Lobby) a porté plus loin. Le «spectre des films icônes» sur la boxe venait de s’évanouir.

Démons intérieurs

La ligne brisée n’est pas tant un film sur la boxe que sur l’amitié — «un vecteur d’amélioration de soi» — et du moment dans la vie où un individu doit faire face à son destin, explique le cinéaste qui aime citer en exemple un aphorisme de Thomas Mann : «La lucidité est la blessure la plus près du soleil.»

«Ces deux gars, au-delà des claques dans la face, vont devoir affronter leurs démons intérieurs. Sébastien (Boutin) aura à faire face à son sentiment de culpabilité. Dans un éclair de lucidité, il sait qu’il devra s’approcher du soleil et que ça va faire mal.

«Danny (Guillaume Lemay-Thivierge), lui, doit surmonter le syndrome de l’éternel deuxième. Il sait qu’il n’a d’autre choix que d’affronter son ami. Dans un ring, tu ne peux pas te sauver.»

Louis Choquette a apporté un soin attentif à l’ambiance de son film. En cela, les films mexicains de la «Nouvelle Vague» — Alejandro Gonzalez Inarritu (Amours chiennes, Babel) et Alfonso Cuaron (Children of Men) en tête — l’ont grandement inspiré.

«Sur le plateau, on avait pris l’habitude de parler de notre “petit film mexicain”. Je trouve que ces réalisateurs réussissent à donner une âme à leurs films à travers l’intimité de leurs personnages. Ils m’ont beaucoup inspiré pour élever le récit au-dessus de l’enjeu sportif.»

Angoisses sur le ring

Le choix de deux comédiens capables de tenir leur bout dans un ring et s’astreindre à un dur entraînement physique, en amont du premier clap, s’est avéré un long processus. Plus d’une cinquantaine de comédiens ont été rencontrés en casting, avant que le choix s’arrête sur Guillaume Lemay-Thivierge et David Boutin.

Louis Choquette avait croisé Thivierge sur le plateau de Rumeurs. Il avait été impressionné par son jeu et attendait l’occasion (et le rôle) pour travailler de nouveau avec lui. S’il n’a pas douté de sa capacité à se glisser dans la peau d’un boxeur, il en allait autrement pour David Boutin.

«Je ne cache pas qu’on a douté des capacités athlétiques de David. Ç’a été une source d’angoisses. Allait-il être capable d’incarner un boxeur? On a pensé avoir recours à une doublure pour certaines scènes, ce qui n’était pas le cas pour Guillaume. Je sais que ça frustrait beaucoup David. Mais jamais on a eu besoin de l’utiliser. Un bon matin, David m’a regardé dans les yeux et m’a dit : “Jamais!” Il a su élever son jeu d’une coche lorsque ça comptait.»

Un défi à la mesure de Lemay-Thivierge

Trois films en neuf mois (Nitro, Les 3 p’tits cochons, La ligne brisée), une télésérie (Casino), une quotidienne pour adolescents (Ramdam) et voix du personnage de Horton l’éléphant, dans le film d’animation américain Horton entend un qui!, en salle dans deux semaines. Guillaume Lemay-Thivierge aurait-il, à l’image de Dieu, le don d’ubiquité?

«Disons que j’aime mieux souffrir de “surexposition” que le contraire», lance le jeune comédien, toujours aussi énergique, à l’image du lapin des piles Energizer. «Il faut dire que je ne tape pas sur le même clou. Nitro était un film d’action. Dans Les 3 p’tits cochons, je jouais un “tata un peu loser”, et maintenant un boxeur. Les films et les personnages sont différents à chaque fois. Ç’aurait été fou de dire non à un film comme La ligne brisée. Il ne s’était jamais fait de film de boxe au Québec.»

Les qualités athlétiques de Guillaume Lemay-Thivierge ne sont plus un secret. On l’a vu courir comme un fou et sauter des clôtures dans Nitro, jouer le professeur d’arts martiaux dans Les 3 p’tits cochons (et aussi sauter la clôture de l’infidélité...). S’il est un comédien qui pouvait incarner un boxeur crédible, c’était lui. Ce qui ne l’a pas empêché de souffrir et de suer un max, pendant trois mois, afin de donner corps et âme à son personnage.

«Je me suis entraîné presque sept jours par semaine, une heure et demie à deux heures par jour. Du cardio, du musculaire, des techniques de boxe. Seulement pour construire les chorégraphies de combats, on a pris un mois et demi. Chaque segment de boxe était découpé en 30 secondes. Chaque segment était relié à une minihistoire. Il fallait savoir comment placer les coups, comment les esquiver. Il fallait jouer sur plusieurs degrés en même temps.»

Même si Guillaume Lemay avait déjà enfilé les gants par le passé — dont une fois dans un combat d’exhibition contre son frère —, le tournage lui a permis de développer une connaissance encore plus intime de l’univers de la boxe. Et d’apprécier à leur pleine valeur ceux qui montent dans le ring.

«On n’a pas idée comment les deux minutes d’un round peuvent être lon­gues, c’est épouvantable. Ces gars-là, c’est des combattants. Ils sont extrêmement courageux. Tu te bats pas seulement contre un adversaire, mais aussi contre tes propres faiblesses. L’élément psychologique est très important en boxe. Celui qui gagne est souvent celui qui est le plus fort mentalement.»

David Boutin entre l'ombre et la lumière

David Boutin ne le cache pas, sur le plan de la forme physique, il partait plus loin que Guillaume Lemay-Thivierge. Ce qui l’a amené à mettre les bouchées doubles afin de se glisser dans la peau d’un boxeur qui connaîtra la lumière des projecteurs et l’ombre de la déchéance.

«Je me suis entraîné comme un vrai boxeur. Un entraînement complet, vraiment toffe, où j’ai eu un peu plus de mal avec les techniques de boxe. C’est des vrais
athlètes, ces gars-là. En même temps, il y a des scènes dans le film où je ne devais pas montrer que j’étais trop en forme, il y avait une sorte de démarcation entre ces deux facettes du même personnage», explique le Dr Lewis de la mémorable Grande séduction.

David Boutin n’a jamais envisagé une seule seconde de baisser les bras devant la charge de travail exigée pour le rôle. Il a même maigri d’une vingtaine de livres pour mieux correspondre au personnage. «C’est comme une première au théâtre. Que tu sois malade, que ça ne marche pas, il faut que tu plonges. Je devais être prêt au premier jour de tournage.» Tout comme pour Lemay-Thivierge, David Boutin a pu compter sur les con­seils de l’expert Yvon Michel afin de peaufiner sa technique.

Son personnage, Sébastien Messier, un homme poursuivi par une tragique bourde de jeunesse, fera la rencontre d’une jeune physiothérapeute (Fanny Mallette) qui deviendra l’élément déclencheur de sa prise en main. La rencontre entre le boxeur et sa thérapeute donne lieu aux plus belles scènes du film. «Ça montre un autre côté du gars. Il enlève son masque de macho, il devient plus vrai, plus sincère.»

Boutin, tout comme Lemay-Thivierge, a adoré travailler sous la supervision de Louis Choquette, qu’il avait rencontré sur le plateau de la télésérie Temps dur. «Louis, c’est un gars toujours calme, fin, très ouvert, qui te laisse beaucoup de place. On travaille bien ensemble, il y a une sorte de chimie entre nous.»