On présente An Inconvenient Truth commele film «le plus terrifiant» que nous ayons vu jusqu'ici. Vrai, ce documentaire engagé peut faire peur. Mais il est surtout inspiré et inspirant. Et il a permisà Al Gore de redorer son blason en sol américain. Notre correspondant à Washington a rencontré l'ancien vice-président des États-Unis dans la capitale américaine.

En quoi le monde serait-il différent aujourd'hui si Al Gore avait battu George W. Bush en l'an 2000?

Impossible de ne pas y songer en rencontrant Gore au onzième étage d'un édifice anonyme situé tout près de la Maison-Blanche, sachant qu'il est passé à un cheveu d'occuper le Bureau ovale.

Impossible parce que si on est habitué à couvrir les discours souvent peu subtils de l'actuel président, discuter du réchauffement de la planète avec Gore est une expérience bouleversante.

Brillant et articulé, l'ex-dauphin de Bill Clinton est un orateur éloquent.

Gore jongle avec des mots qui feraient trébucher Bush.

Et ses références n'ont rien à voir avec celles du président texan. Il cite tout naturellement Gandhi, par exemple. Un nom fort peu utilisé à la Maison-Blanche par les temps qui courent.

Cet apôtre indien de la non-violence soutenait que si on vous met au courant d'une vérité, vous devez vous y accrocher. Ce que Gore dit faire depuis qu'il a appris les dangers des gaz à effet de serre sur les bancs d'école.

Qu'est-ce qui serait différent si Gore était devenu président, donc? Ce qui est sûr, c'est que personne n'aurait eu besoin de réaliser un film comme An Inconvenient Truth (Une vérité qui dérange).

Dans ce documentaire saisissant, qui prend l'affiche à Montréal vendredi, il explique aux Américains que l'heure est grave. Que les jours de la planète sont peut-être comptés si on ne freine pas son réchauffement.

«Les scientifiques nous disent maintenant que nous avons moins de dix ans pour effectuer des changements significatifs. Sinon, nous atteindrons un point de non retour pour la stabilité de la terre. C'est un message alarmant», explique Gore en entrevue.

Une lutte à finir

Lutter contre le réchauffement de la planète est le cheval de bataille de Gore depuis plus de 20 ans. Depuis son passage au collège, en fait. L'un de ses professeurs, Roger Revelle, a été le premier à mesurer la quantité de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Et le premier à sonner l'alarme.

Revelle a pu discuter de ses découvertes devant le Congrès américain dès le début des années 80 lors d'audiences organisées... par Gore, devenu parlementaire à l'âge de 28 ans.

«Je sentais que j'étais en possession d'un message qui devait être entendu.
Que je ne pourrais pas me reposer sans le livrer», explique-t-il, aujourd'hui âgé de 58 ans.

Gore s'est démené sur le plan politique, contribuant notamment à la négociation du protocole de Kyoto en tant que vice-président. Il a aussi déployé beaucoup d'énergie pour informer ses concitoyens du danger qui les guette.

Il a préparé une conférence sur le sujet et l'a livrée au fil des ans plus de 1000 fois, gratuitement. Il s'est lancé dans cette opération avec une ardeur renouvelée après sa défaite électorale.

Sa femme lui a alors suggéré de troquer ses traditionnelles diapositives pour un ordinateur. C'est cette présentation multimédia inspirée qui est à la base du film An Inconvenient Truth.

Un documentaire dans lequel Gore fait preuve d'une passion et d'un enthousiasme qui lui ont tant manqué en 2000 lors de la course à la Maison-Blanche.

Bush et la vérité

En entrevue, Gore se révèle nettement moins fougueux qu'au grand écran.

Chaleureux et hautement cordial - il répond «bien sûr», en français, à une de nos questions -, il parle cependant d'une voix monocorde. Il est convaincant, mais tout sauf électrisant.

Peut-être est-ce pourquoi il n'a «pas tout à fait réussi» à faire passer son message sur le réchauffement de la planète au cours des dernières années, comme il l'admet lui-même.

Le vent serait toutefois en train de tourner. Les Américains, dit-il, font moins la sourde oreille depuis les ravages de l'ouragan Katrina.

«Beaucoup de gens ont alors commencé à s'inquiéter du réchauffement de la planète. À y jeter un regard neuf et à en venir à la conclusion que nous avons vraiment besoin de faire quelque chose», explique l'ancien vice-président.

Il espère que son documentaire - «possiblement le film le plus important de l'année», selon le New Yorker - aura aussi un impact sur l'opinion publique.

«Comme le dit le titre de mon film, même si c'est une vérité qui dérange, c'est la vérité, ajoute-t-il. Et la seule manière de trouver une solution est d'accepter que c'est la vérité.»

Ce que refuse encore de faire son ancien rival. En s'obstinant à mettre en doute la menace des gaz à effet de serre, Bush a déjà fait «beaucoup de dégâts», dit Gore.

Et il a une bonne idée de la raison pour laquelle le président ne croit pas à ce péril. À la source de ce déni se trouverait le même trait de caractère qui l'a poussé à croire à la présence d'armes de destruction massive en Irak.

«Il semble enclin à créer sa propre réalité s'il n'aime pas celle qui est partagée par les autres, dit Gore. C'est pourquoi nous sommes aujourd'hui en Irak. Et il semble faire la même chose avec le réchauffement de la planète.»