Il n'y a pas plus consensuel que le palmarès du dernier gala des Jutra. Il était entendu que Continental, un film sans fusil - le meilleur film québécois de l'année - remporterait le Jutra du meilleur film. La logique même.

Il était tout aussi entendu que Guylaine Tremblay - si juste dans Contre toute espérance - gagnerait le Jutra de la meilleure interprétation féminine. Comme il était entendu que Stéphane Lafleur recevrait les Jutra du meilleur scénario et de la meilleure réalisation pour Continental, et que Laurence Leboeuf serait récompensée pour son second rôle dans Ma fille, mon ange.

Réal Bossé ou Emmanuel Bilodeau? Marc Labrèche ou Roy Dupuis? Les pronostiqueurs ont hésité, mais n'ont rien eu à redire sur les choix de Bossé et Dupuis, formidables de contenance dans leurs rôles respectifs de vendeur d'assurances en déroute dans Continental, et de général Dallaire dépassé par les événements dans Shake Hands with the Devil.

La seule surprise de la soirée: Le peuple invisible de Richard Desjardins et Robert Monderie, qui a obtenu le Jutra du meilleur documentaire à la barbe de Québec sur ordonnance de Paul Arcand (ceux qui ont vu le film d'Arcand et le gala des Jutra auront compris que ceci est une blague aussi subtile que le faux film de Normand Brathwaite, Brume de nuit).

Bref, dans leurs pronostics, les critiques ont vu juste. Ils n'ont aucun mérite. Continental, un film sans fusil était un choix incontestable. Tous les lauréats ont largement mérité leur récompense dimanche. Il ne s'est d'ailleurs trouvé personne qui s'intéresse au cinéma pour contester ce palmarès de très bonne tenue.

Alors dites-moi, où est le scandale? Où est ce «mépris» dont j'entends parler depuis lundi? Les 3 p'tits cochons, le film le plus populaire de l'année, n'a remporté aucun Jutra. Ça aussi, c'était entendu. Le film de Patrick Huard ne méritait aucun prix. Il y avait mieux dans toutes les catégories. Erreur sur le scandale.

J'entends pourtant à la radio, celle de Paul Arcand, que «le rejet» de Patrick Huard témoigne du «mépris du milieu (du cinéma)» pour le grand public. Par quelle logique tordue en arrive-t-on à cette conclusion?

Le gala des Jutra n'est pas un concours de popularité. Ce n'est heureusement pas le gala des prix Artis, un People's Choice Awards de l'autocongratulation québécoise. C'est une remise de prix sérieuse. Notre équivalent des Oscars. Ses lauréats des 10 dernières années en témoignent éloquemment.

Un gala fondé sur la popularité peut être amusant, mais il n'est jamais sérieux. Quelle crédibilité ont aux États-Unis les People's Choice Awards vis-à-vis des Oscars? (Le gagnant du meilleur film aux derniers PCA était Pirates of the Carribean III). Que valent les fameux Félix remis à des interprètes par la clientèle des rôtisseries St-Hubert? Paaaaas grand-choooose (air connu).

Tenez: il y a plus de gens qui mangent chez St-Hubert que chez Toqué. On me dira que c'est pour des raisons évidentes. Oublions le prix. Je suis convaincu que bien des gens préfèrent les plats du St-Hubert à ceux du Toqué. Ça ne fait pas d'eux des imbéciles. Mais ça ne veut pas dire qu'il faut accorder trois étoiles Michelin au St-Hubert.

Ceux qui s'entêtent à voir du mépris dans le gala des Jutra confondent qualité et quantité, valeur et popularité, et bien d'autres choses encore. C'est une manie de notre époque, dictée par l'invasion statistique. Au risque de me répéter, ce n'est pas parce qu'un film est populaire qu'il est bon et ce n'est pas parce qu'il est populaire qu'il est mauvais. Cela n'a rien à voir.

La popularité des 3 p'tits cochons se mesure en chiffres. La qualité de Continental ne se mesure pas en rapport de recettes, en taux de pénétration et en rapport clients/écrans. Elle se mesure au jeu retenu de ses interprètes, à ses silences éloquents, au soin apporté à sa réalisation, à l'humour fin et subtil de son scénario.

Continental est-il un meilleur film que Les 3 p'tits cochons? Sans aucun doute. Est-ce que l'affirmer est méprisant envers le public qui a plébiscité Les 3 p'tits cochons? Il faudrait s'entendre sur la définition du mot «méprisant».

Ce que je trouve méprisant, ce n'est pas de déclarer qu'un film est supérieur à un autre, même s'il est moins populaire. C'est de prétendre qu'un film, sous prétexte qu'il présente une vision d'auteur, ne peut être apprécié, voire compris, par M. et Mme Tout-le-Monde. C'est autrement plus condescendant que de ne pas donner de Jutra aux 3 p'tits cochons.

À la lumière du gala de dimanche, certains aimeraient nous faire croire que le milieu du cinéma québécois est aussi divisé que celui de la télévision. On est bien loin du compte. Il y a des tensions palpables. Patrick Huard a tellement insisté sur le fait qu'il n'était pas vexé d'avoir été «oublié» pour le Jutra du meilleur réalisateur qu'on a fini par en douter. Mais sa participation au gala transcendait sa déception. Bon joueur, il a accepté de remettre le prix à Séphane Lafleur. Ce n'est pas Julie Snyder ou Fabienne Larouche qu'on aurait vues faire ça au gala des Gémeaux.

Au lieu de monter en épingle de prétendues chicanes et d'entretenir des préjugés sur le cinéma d'auteur, on devrait saluer le courage du gala des Jutra de récompenser la qualité, année après année, sans s'encombrer d'autres préoccupations.

Car je vous avertis un an d'avance: Tout est parfait d'Yves Christian Fournier risque de gagner bien des Jutra l'an prochain. Les populistes peuvent déjà commencer à s'indigner.