Ayant beaucoup travaillé en télévision depuis plusieurs années, le cinéaste Carlos Ferrand revient au grand écran avec le documentaire Americano, un long métrage au coeur aussi grand que tout un continent. Présentement à l'affiche d'Ex-Centris.

La vérité sort de la bouche des enfants. Quand coule du sang flamand, amérindien, juif, français, sicilien, péruvien et québécois dans les veines, cela aboutit à une réplique imparable: «Papa, je suis un mélangeur», a déjà déclaré le petit Pascual, 6 ans, à son père, Carlos Ferrand.

Le cinéaste de 62 ans, qui a aussi une fille de 13 ans, fait comme ses enfants. Il mélange et il assume. Son dernier film, le documentaire Americano, entremêle habilement divers destins issus, dans le fond, d'une même famille: les autochtones d'Amérique, les exclus et laissés-pour-compte, tous des exilés de l'intérieur.

Carlos Ferrand est arrivé au Québec il y a 30 ans et a tissé une toile complexe de touche-à-tout du cinéma, slalomant entre la réalisation, l'écriture, la direction photo, le documentaire, la fiction et le corporatif. Il a réalisé une quarantaine de films et de vidéos.

«Je ne fais pas une oeuvre, je ne m'arrête pas à ça. Tout dépend des circonstances et des rencontres. Je suis circonstanciel», confie celui qui a travaillé avec Catherine Martin, Jean-Philippe Duval et Céline Baril au cours des dernières années.

On pourrait croire qu'Americano est une idée à lui. Non. C'est celle du documentariste et producteur Sylvain L'Espérance, des Films du Tricycle, qui l'a «poussé à faire le film», une expérience qui sest avérée fort plaisante.

«Quand j'ai commencé à faire du cinéma dans les années 70, je faisais des films expérimentaux. J'ai eu l'impression de renouer avec cette liberté avec Americano», dit-il.

Dit «personnel», son film ne fait pas dans l'introspection pour autant. Son regard est résolument tourné vers les autres. Le documentaire met en scène son propre passé et ses amis, mais il s'inscrit dans une tradition bien d'ici.

«Je suis fasciné par la place sacro-sainte qu'occupe la réalité dans l'esprit québécois, explique le cinéaste. Dans mon film, j'ai voulu que tout soit clair. Cette vision du cinéma documentaire, particulière au Québec, m'a beaucoup influencé.»

L'un des premiers projets de Carlos Ferrand a été de filmer la réforme agraire d'un gouvernement militaire de gauche dans les années 70 au Pérou. Il ne cache pas son inclination politique. Son film dénonce l'intolérance, la violence et autres discriminations, mais à l'opposé de ce que pourrait faire Michael Moore par exemple.

«On ne parle pas contre Bush dans le film, note-t-il. Je préférais montrer des gens qui font des choses positives pour amener le changement. Tout, dans le film, vient de mes personnages.»

Élevé dans une famille de classe aisée au Pérou, qui a tout perdu sous la dictature de gauche, il dit avoir toujours été sensible au sort des autochtones d'Amérique.

«Même aujourd'hui au Pérou, souligne-t-il, les Blancs sont profondément convaincus qu'ils sont meilleurs que les autochtones. Ce qui se passe en Bolivie avec Evo Morales, est très émouvant, dans ce sens.»

Ce qu'il a contre les États-Unis, c'est cette usurpation, selon lui, qui a été faite du nom laissé par Amerigo Vespucci sur les rives du Nouveau Monde, il y a plus de 500 ans. «Moi, je suis totalement americano, fait-il. Tout mon film consiste à dire que nous sommes tous américains. Je voulais déconstruire cette idée que les habitants des États-Unis sont les seuls Américains.»

Vert sexagénaire, notre Américain errant a encore bien des projets de films. Il voudrait, entre autres, aborder la question du racisme à nouveau en faisant un long métrage sur la révolution haïtienne. Malgré tout, Carlos Ferrand, mélangeur humaniste, a encore confiance à l'avenir du vivre ensemble. «Je ne suis pas cynique. Ceux qui ne croient à rien passent pour intelligents plus facilement. Je ne suis pas non plus fervent d'optimisme, mais de possibilisme. Les choses vont probablement s'envenimer, mais il est possible que ça aille mieux aussi.»