L'Afrique du Nord, à la fin du XIXe siècle. Une guerre, des colons, des militaires. Un médecin, une maladie. Le scénario de La cité des ombres vous rappellera peut-être La peste, de Camus. Comme le célèbre roman, La cité des ombres du cinéaste québécois Kim Nguyen, propose un regard allégorique sur l'histoire, le monde, les rapports entre «eux» et «nous».

Afrique du Nord oblige, c'est en Tunisie, à Tataouine et Tozeur, que le réalisateur Kim Nguyen tourne La cité des ombres. Hiver québécois oblige, c'est avec des considérations climatiques que débutent les conversations téléphoniques que nous avons pu avoir avec Kim Nguyen et ses interprètes: Jean-Marc Barr, Claude Legault et Sabine Karsenti.

«La chaleur n'est pas mon élément, je préfère tourner dans des températures très froides que très chaudes. Mais là, je me dis, on va prendre la chaleur et la faire entrer dans le personnage. Les colons venaient parfois du nord de la France et ils étaient là...», dit Claude Legault.

Au téléphone, Claude Legault semble habiter son personnage, Julien de Troie, un fils de colon, élevé par l'armée. «Je suis très dur et très ferme avec mes hommes, et en même temps très justes avec eux, dit-il. Le capitaine est un père, mais un père autoritaire.»

Pour les besoins du rôle, Claude Legault a consenti à un accommodement capillaire et linguistique. Rasé, il porte maintenant la barbe - «J'ai vraiment une tête de tueur en série» - et parle en français «de France». «Des fois, je ne sais même pas ce que j'ai joué tellement j'essaie de faire attention à ce que je dis», dit-il.

La cité des ombres écrit une «parenthèse» dans l'histoire de la colonisation et de l'exploitation de l'Afrique du Nord par la France. Toutefois, si les décors, costumes et accents se veulent réalistes, Kim Nguyen insiste sur le caractère allégorique de son troisième long métrage: «On ne nomme jamais le peuple qui est là, on ne nomme jamais les Français, pour se laisser une certaine marge.»

Il y a six ans, Kim Nguyen écrivait la première version du scénario de La cité des ombres. «Je ne sais pas pourquoi, mais je voulais écrire une histoire qui se situait dans le passé pour faire une réflexion sur le présent. J'avais l'idée d'une épidémie, de mise en quarantaine, de huis clos. J'avais envie d'explorer les thèmes de la peur de l'autre dans notre village global, de la peur réelle et celle créée de toutes pièces.»

C'est donc dans les Aurès, à la fin du XIXe siècle, que Kim Nguyen amène son personnage principal, le docteur Max Orswell. Épuisé par la guerre, Max Orswell arrive dans un petit village, où se déchirent autochtones (les hérénites) et les forces coloniales. Une maladie va frapper le village, contraint à l'isolement.

Dès les premières versions du scénario, Max Orswell a un visage, celui de Jean-Marc Barr (Le grand bleu, Manderlay, CQ2). Kim Nguyen contacte le comédien franco-américain, qui ne se montre pas vraiment séduit. «J'avais déjà fait un film sur la peste à Buenos Aires, j'étais un petit peu réticent, surtout qu'à cette époque-là, on devait tourner en Italie du Sud, et j'avais déjà fait un film là-bas», se souvient le comédien.

C'est en le rencontrant, par hasard, dans un festival de Sibérie, que Kim Nguyen convainc Jean-Marc Barr. «Je me suis dit qu'il fallait que j'aie un jour ou deux pour convaincre (Jean-Marc Barr) et qu'il signe sur une serviette de table qu'il allait tourner!», plaisante Kim Nguyen. Aujourd'hui, Jean-Marc Barr est tombé sous le charme d'un réalisateur qui «laisse parler son âme». «Je pense qu'on est en train de faire un très beau film», dit-il.

Sabine Karsenti partage l'enthousiasme de son partenaire à l'égard du réalisateur, décrit, à la blague, par Claude Legault comme un «mélange entre un bonhomme naïf et un personnage sadique».

«Son univers a quelque chose de très imaginatif, j'aime sa manière de voir le cinéma. J'adore les films d'époque, les films d'ambiance où tous les éléments sont importants», dit Sabine Karsenti.

L'univers de Kim Nguyen sera à l'affiche des cinémas québécois pour au moins les deux prochaines années: Truffe, sa «comédie psychotronique» avec Roy Dupuis et Céline Bonnier, prendra l'affiche cet été. Pour La cité des ombres, dont le tournage s'achève la semaine prochaine, il faudra attendre 2009.