À la fin du tournage de Bury My Heart at Wounded Knee, Yves Simoneau a vécu une scène qu’il n’oubliera jamais. «La centaine de figurants amérindiens m’ont entouré, en cercle très serré. Une façon pour eux de montrer qu’ils avaient apprécié mon travail.»

Yves Simoneau était de retour à Québec, sa ville natale, jeudi, pour présenter au public ce film qui a récolté sept prix Emmy l’an dernier, l’équivalent des Oscars de la télé, dont celui du meilleur téléfilm. Bury My Heart at Wounded Knee, adapté d’un livre de Dee Brown, avait été mis en nomination dans 17 catégories, deux de plus que Les Soprano.

Au Festival de cinéma des 3 Amériques, le téléfilm de Simoneau a trouvé une niche dans le segment Regard sur le cinéma des Premières Nations, présenté dans le contexte du 400e anniversaire de la ville de Québec.

Simoneau a présenté son film au Musée de la civilisation, mais c’est à l’Hôtel-Musée de Wendake, vendredi soir, qu’il aurait aimé le faire. Une façon pour lui de retourner en arrière, à l’époque où il allait rendre visite à son grand-père, qui habitait près du Village huron. Et aussi, de façon symbolique, de souligner le propos du film.

Le projet d’un téléfilm sur l’histoire sanglante de Wounded Knee, où 165 Sioux ont été tués par l’armée américaine, en 1890, dans le Dakota du Sud, passait d’une main à l’autre lorsque la chaîne HBO a approché Simoneau. Le budget, qui frôlait les 60 millions $ au départ, avait été ramené à 45 millions $, puis à 15 millions $.

Un cinéaste sous surveillance

«Le projet était en développement depuis quatre ans, explique au Soleil le cinéaste de 53 ans. Lorsqu’on me l’a offert, c’était le dernier round avant qu’il ne soit rangé sur les tablettes. Le défi était de faire un récit le plus authentique possible. Il n’était pas question de concessions au plan du contenu. Essentiellement, j’ai résolu les problèmes avec des solutions de montage et un scénario moins linéaire.»

Durant la réécriture du scénario et le tournage de 39 jours, Simoneau était un cinéaste sous surveillance. Puisque Wounded Knee est un moment charnière de l’histoire américaine, porteur de beaucoup d’émotions, tant les Amérindiens que les Blancs ne voulaient pas que les événements soient galvaudés. Chaque ligne du scénario a été examinée à la loupe par des historiens, qui ont finalement endossé son travail. «Il faut comprendre qu’il ne se tournera pas de film sur ce sujet avant bien longtemps.»

«Le massacre de Wounded Knee, qui suivait la bataille de Little Big Horn, a eu un effet psychologique majeur sur les Amérindiens. Ça leur a brisé les reins pour un bout de temps. Je dirais même qu’ils ne s’en sont jamais remis. En même temps, on ne voulait pas que je traite l’événement comme l’Holocauste des Amérindiens.»

La meilleure équipe

Simoneau ne tarit pas d’éloges envers la chaîne HBO, qui a rendu possible le tournage de cette production épique. «La beauté avec HBO, c’est que les films ont de très longues carrières. À sa première télédiffusion, mon film a été vu par plus de 25 millions de personnes. On le présente ensuite dans les écoles.

«Les gens de HBO prennent le temps de développer des projets. Ils sont très exigeants et très intelligents dans leur approche. Quand ils embauchent un réalisateur, ils ne passent pas leur temps à lui dire quoi faire, ils lui font confiance. C’est la meilleure équipe avec laquelle j’ai eu l’occasion de travailler en 30 ans.»

La hâte de tourner au Québec

Maintenant qu’il est revenu de son exil américain de 10 ans, Yves Simoneau recommence à suivre de près le cinéma québécois. Et il aime bien ce qu’il voit. Lui qui avait quitté le Québec pour Los Angeles parce qu’il en avait assez d’attendre les subventions trépigne maintenant à l’idée de tourner à nouveau dans sa cour.

«Ce qui me fascine, dans le cinéma québécois, c’est la diversité des genres. Tout le monde peut y trouver son compte», explique le réalisateur de Pouvoir intime (1986), des Fous de Bassan (1987) et de Dans le ventre du dragon (1989). «On n’est plus rébarbatif à certains films. Je me souviens qu’à l’époque des Yeux rouges, on m’avait accusé d’avoir fait un film américain...»

Simoneau croit que le cinéma québécois, même s’il a pris de l’assurance et de la maturité, doit veiller à soutenir des «films atypiques».

«Il faut se méfier de la standardisation, garder une porte ouverte sur l’expérimentation et la recherche», explique-t-il, en pensant à une cinéaste comme Catherine Martin, dont le film Dans les villes l’a complètement séduit. «C’est le genre de cinéma qui doit continuer à se faire. C’est une cinéaste qui offre une vraie expression artistique. Il faudrait trouver une façon de mieux mettre en marché ce genre de films.»

De sa maison des Cantons-de-l’Est, Yves Simoneau jette un œil sur tous les projets d’ici et d’ail­leurs qu’on lui propose. «Mon lieu de résidence importe peu maintenant. Tout le marché américain et européen m’est ouvert. Ce n’était pas le cas au début. Tu n’étais pas un vrai joueur tant que tu n’étais pas dans la ligue.»

Il n’attend que le moment propice (et la bonne idée) pour tourner un film made in Québec. Ce serait son premier en près de 20 ans. «Le plus difficile, c’est de planifier l’horaire en fonction des dépôts de projets aux institutions financières. Mais je vais en faire un, c’est certain. Les planètes vont finir par s’aligner correctement...»