Avec Nim's Island, Jodie Foster change de registre... mais peut-être pas vraiment de personnage. Conversation avec une femme qui n'a pas peur de (se) cogner aux portes, au propre comme au figuré.

L'entrevue se ferait au téléphone. À 14 h 28 (!). Dix minutes, pas plus. Et il valait mieux ne rien prévoir après. Le tout pouvait être retardé sans préavis. De beaucoup? De beaucoup. Mais, bon, que ne ferait-on pas pour avoir Jodie Foster au bout du fil?! L'emploi du temps a été organisé et, l'enregistreuse préparée. La journaliste aussi.

Finalement, l'actrice, qui se trouvait à Los Angeles, n'a pas téléphoné à 14 h 28. Elle était... ô surprise, en avance. De quelques minutes. Voix basse, bien modulée. Cette voix que l'on reconnaît, que l'on ait vu ses films en anglais ou en français. Car Jodie Foster, chaque fois qu'elle le peut, comme c'est le cas pour Nim's Island, se double elle-même puisqu'elle s'exprime parfaitement dans la langue de Molière (voir autre texte). «Je peux aussi vous faire l'accent québécois», rigole-t-elle dans le combiné. Et elle le fait. Rires.

C'est pour parler de Nim's Island, film pour enfants réalisé par Mark Levin et Jennifer Flackett à partir du charmant livre de Wendy Orr, qu'elle a accepté d'accorder quelques entrevues téléphoniques - une seule au Québec, à La Presse.

Elle campe-là le rôle d'Alexandra Rover, auteure de romans très populaires mettant en scène... Alex Rover (Gerard Butler), héros qui sillonne la planète et va d'aventures en aventures. Rien ne lui fait peur. Tout l'opposé de la romancière. Qui se terre dans son appartement de San Francisco, incapable de mettre le nez dehors - ne serait-ce que pour aller chercher le courrier.

Jusqu'au jour où la jeune femme, dans le cadre des recherches qu'elle mène pour écrire son prochain bouquin, entre en contact avec une certaine Nim (Abigail Breslin). Croyant d'abord avoir affaire à l'assistante du professeur Ruscoe, qui vit dans une île volcanique, elle se rend bientôt compte que Nim est en réalité la fille du scientifique (aussi interprété par Gerard Butler). La fillette est seule et en danger dans l'île, son père ayant disparu. Alexandra décide alors de surmonter ses peurs et d'aller au secours de l'enfant.

Une expédition qui n'est pas sans rappeler celle que traverse cette autre romancière introvertie qu'incarne Kathleen Turner dans Romancing the Stone. «Ah oui? Je n'ai jamais vu ce film. Promis, je me le loue bientôt», fait la comédienne, rieuse, avant de noter qu'elle a dû se «battre pour obtenir le rôle d'Alexandra. Se battre, vraiment? «Les réalisateurs étaient d'accord, mais le studio n'était pas sûr. On ne me «voyait» pas dans ce film.»

Mais elle y tenait. Depuis 15 ans, depuis qu'elle a goûté à la comédie avec Maverick, elle souhaitait redonner dans ce genre. «Mais je n'arrivais pas à en trouver une bien écrite, une dans laquelle je puisse planter mes dents. Jusqu'à ce que je tombe sur Nim's Island.» Un film que ses fils, âgés de 7 et 10 ans, pourraient voir - il y en a peu dans la filmographie de l'actrice - et un film plus léger que, par exemple, son précédent, The Brave One.

États d'esprit contradictoires

«C'était la première fois que je participais à deux films aussi différents avec des tournages aussi rapprochés. Je me suis retrouvée à faire la promotion d'un drame sombre et dur pendant le tournage d'une comédie familiale», raconte Jodie Foster, qui a entre autres participé au Festival de Toronto pour y présenter le film de Neil Jordan où elle interprète la victime d'une agression violente qui, une fois rétablie, devient à son tour un genre de prédateur.

Elle venait alors de terminer la première partie de Nim's Island et s'apprêtait à retourner en Australie pour tourner la seconde. «Je ne ferai plus jamais une telle chose.» Pas évident, en effet, de passer d'un état d'esprit à l'autre. Même si, fait remarquer la comédienne, au-delà du ton, Alexandra Rover n'est pas si différente d'autres femmes qu'elle a incarnées au cours des dernières années: «En tout cas, si je regarde ce que vit le personnage. C'est une femme placée devant la peur, dans un endroit clos, et qui arrive à vaincre cette peur en trouvant force, désir de survie et héroïsme en elle.»

C'était le cas dans Panic Room et autres Flightplan. C'est aussi le cas, mais sur un tout autre registre, dans Nim's Island. Où l'ennemi, par contre, est à l'intérieur même du personnage. «J'ai trouvé intéressant d'explorer le genre de courage intérieur qu'il faut à Alex... simplement pour se rendre à l'aéroport.» Ce sont donc ses craintes, ses phobies, qu'elle doit affronter. Portant ainsi l'un des messages du film: «Nous sommes plus braves que ce que nous croyons.»

Cette bravoure, ici, est conjuguée au féminin et au «naturel», ce qui n'est pas sans déplaire à la comédienne: «Je trouve que c'est une merveilleuse histoire qui inspire les filles... et les garçons aussi, qui leur dit de prendre l'aventure à deux mains et d'expérimenter notre monde. Qui leur dit aussi qu'il est possible... non, qu'il faut devenir le héros de notre vie. On est loin des jeux vidéo, et de la passivité que l'on voit trop aujourd'hui! Enfin, ça met en scène des personnages qui n'ont pas de pouvoirs surnaturels, ni de lasers, ni de potions magiques. J'aime ça.»

À ses côtés, dans cette histoire, la jeune Abigail Breslin (Little Miss Sunshine). «Nous ne parlions pas de travail mais de choses vraiment importantes comme... le parfum de glace que nous préférons», fait Jodie Foster qui a elle-même commencé très jeune sa carrière devant les caméras: «Mais je n'ai pas reconnu en elle l'enfant que j'étais. À son âge, j'étais très stoïque, très réservée, je n'étais pas du tout en contact avec mes émotions. Elle, au contraire, possède une sorte de réserve émotionnelle à laquelle elle a totalement accès, en tout temps - alors que moi, il m'a fallu longtemps pour comprendre cet aspect du travail. Elle est vraiment faite pour être actrice.»

Là-dessus, un responsable du studio se fait entendre sur la ligne. Il reste tout juste le temps de se saluer. Coup d'oeil sur le chrono. Hé, hé... l'entrevue a fait presque 15 minutes. Merci, Miss Foster!

En français, s'il vous plaît!

Jodie Foster est une surdouée. Du genre à avoir appris à lire à l'âge de 3 ans. Du genre à être membre de la Mensa - il faut, pour cela, avoir obtenu des résultats supérieurs à 98% de la population à des tests d'intelligence. Et du genre à ne pas s'en vanter.

Résultat: à l'école, on avait tendance à lui faire sauter des années. Sauf qu'à un moment donné, la fillette allait se retrouver seule parmi des adolescents. Pas de problème pour suivre sur le plan scolaire. Il en irait autrement pour le développement... social et psychologique, disons. Sa mère, la productrice Evelyn Foster, a alors jugé qu'il était temps de cesser cette partie de saute-mouton avec les niveaux scolaires. Il fallait présenter un défi d'un autre ordre à sa fille. La mettre dans une institution plus exigeante, par exemple.

«Mais elle ne voulait surtout pas m'envoyer dans une école religieuse. Elle avait fait ses études dans un couvent et, non, il n'était pas question qu'elle me fasse vivre cela», raconte la comédienne. «Donc, elle a fait des recherches pour trouver une école privée mais non confessionnelle.» C'est ainsi que Jodie Foster a été inscrite au Lycée français de Los Angeles, où elle a fait toutes ses études secondaires. Parfaitement bilingue à 14 ans. Alors que sa mère ne parlait pas un mot de français. «À l'époque, elle n'avait même jamais franchi les frontières des États-Unis.»

Ce qui n'est pas le cas de sa fille, qui sillonne la planète. Pour le travail. Moins souvent pour le plaisir. «J'aimerais aller en France pour des vacances. Mais finalement, il est très rare que ça se produise.» Elle n'a donc à peu près pas l'occasion de pratiquer son français. D'où son désir, quand son horaire de travail le permet, de se doubler dans la langue de Molière. «C'est une façon, pour moi, de continuer mon éducation française, fait-elle valoir. De m'améliorer, en prenant différents personnages et même, différents accents. Pour moi c'est comme prendre un cours intensif pendant une semaine.»

Et ça marche: non seulement possède-t-elle un excellent vocabulaire dans cette langue qu'elle parle sans trace d'accent américain... et avec une pointe d'accent français, mais elle peut aussi jouer de la nuance et de la profondeur. Surdouée. Et ce n'est pas elle qui le dit.