La joie. Elle vous frappe en pleine figure. Avant les habits sales, le climat aride, les carcasses  d’ânes morts. Avant le sable qui s’infiltre partout dans les maisons, dans les cheveux, sous les ongles et dans la nourriture. C’est la joie que vous voyez. Elle éclipse le reste. Elle émane de partout. De leurs yeux noirs et vifs d’enfants qui brillent comme la lumière crue du désert. Dans leurs petits pieds qui dansent avec de vieux ballons de soccer dégonflés. Dans leurs jambes qui s’épuisent à courir derrière les camions  des travailleurs humanitaires.  Dans leur pouce qu’ils lèvent en rigolant, en criant «O.K.! O.K.!» Ce sont des enfants. Des enfants qui sont restés des enfants. Avec la spontanéité et les rêves de tous les enfants du monde.

Je me surprends à chercher des regards vides, des corps amorphes envahis par les mouches  dans l’attente d’un avenir impossible, des tentes, des milliers de tentes plantées dans l’horizon. Je me surprends à chercher les images que j’ai vues sur Internet. En réalité, ce que je vois, ce sont des enfants qui rigolent devant des huttes de terre ou de paille, des femmes aux saris de couleurs vives qui marchent fièrement dans les rues de sable, des hommes qui vous regardent droit dans les yeux, avec dignité.
 
La dignité

La dignité, dans les camps d’Abu Shouk et d’Al Salaam, elle transparaît autant que la joie. Ils sont fiers, les Darfouris. Une fierté que la perte de l’ancienne vie, la perte des racines et de la liberté n’a pas estompée.

«Vous pensez que ça me plait de dépendre des autres pour me nourrir? Surtout, n’allez pas croire que ça rend la vie plus facile», avance Meriem. Son regard. Si vous voyez son regard lumineux. Et son sourire, comme un point de ponctuation, qui se pointe à la fin de chacune de ses phrases. Un sourire qui se détache de tous ces mots arabes inconnus qu’elle utilise, un sourire que je comprends plus que n’importe quel mot de français: «Ne me prends pas en pitié. Je suis une femme, comme toi. J’ai des rêves, des amours, des souvenirs, des moments d’égarement, des moments de joie. J’ai des blessures, des histoires de résilience, j’ai des enfants et aussi des petits enfants.»

Elle est une femme, comme moi, qui a presque mon âge et qui est déjà grand-mère. Elle me raconte son village, son métier de cultivatrice, les fruits et les légumes frais d’autrefois, qui ont pratiquement disparus de son alimentation au camp. Elle me raconte la liberté de marcher insouciante sans le poids de la peur. Cette peur maudite de tout perdre, à tout moment, dans une attaque fatidique. Pour vivre, il lui a fallu mourir un peu. Laisser tout derrière elle. Rapailler sa nombreuse famille. Arriver au camp. Se fabriquer une vie temporaire. Attendre le retour de la paix et avec elle, le retour de l’indépendance, des fruits frais et de la liberté.

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Pour en savoir plus sur le Darfour et pour voir d’autres photos de notre périple, consultez le site www.unicef.ca.