Aïda pointe du doigt au loin. «La frontière du Tchad est à dix ou quinze kilomètres d’ici, dans cette direction.» Elle me balance cette information d’un ton léger, comme si elle me montrait la tour du Stade olympique. L’endroit est reconnu comme l’un des points les plus chauds au Darfour, traversé d’un côté par les rebelles tchadiens et de l’autre, par les Soudanais.

Les check points, les hélicoptères qui grondent, les fusillades, les convois militaires, tout ça fait partie du quotidien d’Aida. Comme ailleurs dans le monde, il y a les kiosques à hot-dogs, les petits cafés animés ou les parcs pour enfants. Aïda, elle ne les remarque plus, ces hommes qui sillonnent les routes de sable, installés debout par dizaines dans une caisse  de camion, une AK-47 dans les mains. Il y a deux ans, la travailleuse humanitaire a quitté son Ottawa natal pour El Geneina. Si, si, vous avez bien lu. Ottawa. Elle a troqué une vie tranquille dans la capitale du Canada pour une autre, imprévue et inconfortable, dans la capitale  de l’ouest du Darfour. Qu’est-ce qui a poussé cette fille à renoncer aux piscines, au bon vin – société musulmane oblige –, aux fruits de mer et aux amis que l’on rencontre dans les cafés? Ça, c’est une autre histoire. L’adrénaline, elle vous répondrait sûrement. Mais ce qui m’a surprise, plus que tout, c’est sa manière de banaliser les détails qui rappellent la guerre. En réalité, je dois l’avouer, Aïda m’a renvoyée à ma propre attitude.

À El Facher, dans le Nord Darfour où nous avons commencé notre périple, j’ai envoyé la main à un de ces soldats installés dans une caisse de camion. Cet homme, il m’a saluée de façon joviale. Je lui ai répondu spontanément, sourire aux lèvres. Comme ça, tout simplement. Sans même penser qu’il avait un habit de rebelle, une AK-47 et peut-être quelques meurtres sur la conscience. Depuis mon arrivée au pays, la guerre n’a jamais été qu’une toile de fond. Je sais que les affrontements entre différents groupes armés existent. Je sais que si les femmes réfugiées s’éloignent du camp, elles courent le risque de se faire violer par les miliciens. Je sais qu’il y trois jours, le recensement organisé par le gouvernement a été boycotté par la plupart des déplacés, qu’il y a eu des escarmouches dans les camps. Je le sais, mais je ne sens ni la panique, ni la peur, ni la folie. Parce que dehors, les commerçants continuent de vendre des bananes et des bouteilles de Coke, parce les enfants transportent l’eau sur les ânes chaque matin, parce que les filles rigolent entre elles dans la rue, parce que la vie continue, simplement. «Une journée dans un pays en guerre, c’est 15 minutes de violence et 23 h 45 de paix.» C’est le journaliste  François Bougingo qui a laissé tombé cette phrase un après-midi au café Byblos, à Montréal, entre deux gorgées de thé. Il m’a fallu venir jusqu’ici pour comprendre ce qu’il voulait dire.
 
Eza

Pour en savoir plus, consultez le site www.unicef.ca