«Comment quelqu'un pouvait-il être devenu un tel phénomène en si peu de temps?» Voilà la question qui a titillé Benoit Gignac tout au long de ses recherches afin d'écrire Lucien Rivard - Le Caïd au coeur du scandale.

Rivard aura été le plus grand bandit de souche canadienne-française. Il avait des contacts dans les sphères politiques comme dans le monde criminel. Il s'est évadé de Bordeaux, non pas avec des boyaux d'arrosage, comme il a été rapporté, mais bien après avoir soudoyé des gardes de la prison (ce qui a été admis seulement quelque 30 ans après les faits!). Il a également fait tomber le ministre de la Justice Guy Favreau, et Robert Kennedy lui-même a réclamé son extradition aux États-Unis pour trafic d'héroïne. Autant d'éléments dont l'auteur a dû trouver la juste place dans le casse-tête que Lucien Rivard représente.

«Ç'a toujours été un homme discret, ce qui n'est pas surprenant pour un bandit ! Pour ma part, je ne savais pas qu'il en avait mené aussi large. Et je n'en reviens toujours pas de l'engouement qu'il a suscité et des dommages collatéraux qu'il a causés, comme la démission du juge Favreau, souligne Benoit Gignac. Lucien Rivard était un bon sujet d'écriture, parce qu'il nous révèle une part de notre histoire et une facette de qui nous étions, mais il demeure un criminel et nous n'avons pas à déifier un criminel, selon moi.»

Lucien Rivard relate strictement les faits, tels que l'auteur a pu les colliger et les recouper. «Il n'avait jamais cherché à devenir un personnage public, mais du moment où il l'a été, à la suite de son évasion de Bordeaux, il a fait ses propres relations publiques et a entretenu son image de mari amoureux, d'escroc non violent et sans mauvaises intentions.»

Les lettres qu'il acheminera d'un peu partout à sa femme, Marie, ou directement aux journaux, histoire de brouiller les pistes pendant ses 136 jours de cavale, font notamment partie de cette entreprise visant à le rendre, au final, plus sympathique que dangereux aux yeux du public. Si Lucien Rivard a bénéficié d'un tel capital de sympathie auprès de la population, c'est parce qu'il se riait des autorités et de l'ordre établi, et se montrait plus rusé que ses poursuivants. «Ça va plus loin aussi, croit toutefois M. Gignac. Une telle fascination pour les criminels, qu'ils soient de la trempe de Rivard ou d'un Al Capone, par exemple, reste pour moi incompréhensible, mais il se pourrait que, collectivement, on projette sur eux notre propre désir de délinquance.»

Un élément essentiel demeure. «Dans les années 1960, on n'avait pas une idée claire de ce qu'était vraiment un narcotrafiquant, des réelles conséquences du trafic de la drogue sur la société», soutient Benoit Gignac.

Lucien Rivard, renchérit son biographe, ne s'est jamais considéré comme un criminel. Tout au plus se qualifiait-il de commerçant.

Contrairement au scénario du Piège américain, le livre n'extrapole pas sur les implications de l'arrestation de Michel Caron à Laredo et sur la possibilité que son patron ait été un pigeon dans l'assassinat de JFK. «La seule chose dont on soit certain, c'est que la drogue avait bel et bien été mal dissimulée dans la voiture de Caron, ce qui a entraîné son arrestation à Laredo, le 10 octobre 1963, soit un peu plus d'un mois avant le meurtre de John F. Kennedy, rappelle Benoit Gignac. Est-ce que cette arrestation faisait partie du plan de diversion de ceux qui complotaient l'assassinat du président américain? Ça, ça fait partie du mythe Rivard. Peut-être que certains voulaient tout simplement se débarrasser de lui...»