Pour Fabienne Larouche, un personnage de la trempe de Lucien Rivard a fait entrer le Québec par la grande porte du crime dans l'Amérique d'aujourd'hui.

Trafiquant d'armes et d'héroïne, interface entre la French Connection menée par Paul Mondolini, les Cubains - pro comme anti-castristes - et la Cosa Nostra, le caïd québécois parlait français, anglais, espagnol et italien. De là à ce que Rivard ait pu être mêlé à l'assassinat du président américain John F. Kennedy, il n'y avait qu'un pas que Fabienne Larouche et son conjoint Michel Trudeau ont choisi de franchir.

«Quand Michel et moi avons lu dans American Tabloïd, de James Ellroy, le nom de Pete Bondurant, on s'est demandé pourquoi Ellroy avait lié un personnage canadien-français au complot pour assassiner JFK. Qui pouvait être ce Canadien français? Ç'a été l'étincelle et on s'est retrouvé sur la piste de Lucien Rivard. C'est toutefois quand (le mythe) Rivard a commencé, à cause de ce qu'il représentait, à me parler de l'Amérique, que j'ai été convaincue de tenir l'idée d'un film, fait valoir Fabienne Larouche. Rivard concrétisait, à mes yeux, l'idée que le Québec fait partie du mythe américain. Il nous ancrait au continent nord-américain.»

Le Piège américain n'est pas une biographie de Rivard. «Je ne voulais pas lui trouver de justification. Quand on le découvre, il est déjà big à Cuba.» Ce n'est pas un documentaire, ni un film historique. «Je ne suis pas Oliver Stone! se défend bien Fabienne Larouche. Je ne prétends pas présenter la vérité.»

Le long métrage relève plutôt d'«un voyage imaginaire dans ce qui aurait pu être».

Ce qui aurait pu être, c'est que Rivard ait été, pour la mafia, le pigeon à faire tomber dans les filets du procureur Kennedy, environ un mois avant le meurtre de son frère, à Dallas.

Pour fictive que Fabienne Larouche prétende qu'elle soit, l'hypothèse qu'elle met de l'avant avec Michel Trudeau n'en demeure pas moins drôlement étoffée. Les noms réels (Castro, Mondolini, Trafficante, les Kennedy, Oswald, Ruby, Hoover), les dates et les lieux (La Havane, Laredo, La Nouvelle-Orléans, Montréal et Dallas) s'accumulent dans le film comme autant d'indices du nombre d'heures passées au cours des six dernières années à fouiller sur la toile, à lire et à visionner tout ce qui a pu être écrit et fait sur le caïd québécois, Cuba, l'assassinat de John F. Kennedy, à établir des liens, pour mieux en extraire la trame du Piège américain.

Au cours de ses recherches, le tandem Larouche-Trudeau a également accumulé les «sources sûres», qui permettent, notamment, à la première d'affirmer que, pendant son séjour crucial à Cuba, dans les années 1950, Lucien Rivard remettait chaque semaine 20 000 $ au clan du dictateur Batista, alors au pouvoir, et 10 000 $ à Castro et à ses rebelles, pour pouvoir exploiter son casino.

Deux personnages fictifs

Deux personnages fictifs côtoient toutefois Rivard, dans le film : Maurice Bishop, de la CIA, incarné par Colm Feore, et le jeune avocat Jeffrey Cohen (Joe Cobden). Le premier, explique Fabienne Larouche, est un amalgame des agents et courtiers que l'agence des services secrets envoie aux quatre coins de la planète pour travailler sur le terrain à déstabiliser les pays au besoin. «Quant à Jeffrey Cohen, c'est mon Elliott Ness, mon incorruptible, qui veut faire toute la lumière sur cette histoire et qui se fait mettre des bâtons dans les roues par ses supérieurs», confie l'auteure.

Cette dernière avoue aussi qu'elle a pris plaisir à écrire les dialogues entre Edgar Hoover et Robert Kennedy. «Il y avait une forme de jeu incroyable, là-dedans. Moi, une fille qui a grandi au Lac-Saint-Jean, j'étais en train de mettre des mots dans les bouches d'un Kennedy et du directeur du FBI!» s'exclame la maniaque de romans policiers et de séries à la 24 heures chrono, et à qui on doit Fortier et Un homme mort.

«Pour moi, Le Piège américain représente un thriller politique, soutient Fabienne Larouche. Politique, parce que ce qu'on y raconte nous renvoie à la situation actuelle. Parce que les Américains sont partout, comme dans le temps. Que des courtiers comme Bishop parcourent toujours le monde pour déstabiliser des pays. Et parce que le produit national brut afghan, par exemple, dépend de quoi? De la culture du pavot!»

«Mon premier souvenir télévisuel, c'est la mort de Kennedy. J'avais cinq ans, renchérit-elle. On parle encore du 22 novembre 1963 comme du jour où les Américains ont perdu leur innocence. Pour nous, l'assassinat de JFK a provoqué la même onde de choc que l'écrasement des tours jumelles du World Trade Centre, le 11 septembre 2001, pour la nouvelle génération.»

D'ailleurs, la coscénariste n'a pu résister à la tentation, dans un dialogue entre Bishop et Rivard, qui est alors emprisonné aux États-Unis, de mentionner les problèmes qui attendent les Américains avec les Arabes. «C'est le seul commentaire postérieur aux événements traités dans le film que je me suis permis!»