Le gouvernement Harper met l'industrie canadienne du cinéma en danger en imposant des conditions sévères dans l'octroi de crédits d'impôt dans le projet de loi C-10, estime le réalisateur David Cronenberg.

Le célèbre cinéaste canadien a témoigné devant le comité sénatorial des banques et du commerce, hier, pour se prononcer contre le projet de loi qui retirerait ces crédits d'impôt aux productions jugées «contre l'ordre public».

Selon lui, la disposition camouflée dans une vaste législation fiscale de plus de 400 pages devrait être tout simplement retirée.

M. Cronenberg est d'avis que, contrairement aux affirmations de la ministre du Patrimoine, Josée Verner, son dernier long métrage, Eastern Promises, aurait eu toutes les chances de ne jamais voir le jour si le projet de loi C-10 avait été en vigueur.

Récemment, la ministre a diffusé un communiqué de presse pour dire que des films comme Eastern Promises ne seraient pas visés par la mesure à l'étude.

«Il est facile de dire du bien d'Eastern Promises une fois qu'il a été encensé par la critique, une fois qu'il été mis en nomination pour un Golden Globe et un Oscar», a-t-il dit.

«Mais imaginez que rien de tout cela ne soit arrivé. Que le film n'est pas encore sorti. Et que vous êtes assis dans une pièce, à regarder un film dans lequel la première scène montre un homme qui se fait trancher la gorge de manière très violente...»

«Je ne suis pas confiant du tout que l'argent de Téléfilm Canada qui a été investi dans Eastern Promises ne lui aurait pas été enlevé par la suite par le ministre du Patrimoine ou par un quelconque comité», a conclu le cinéaste.

Le projet de loi C-10 a provoqué une levée de boucliers depuis qu'un article de journal a souligné le fait qu'il puisse s'apparenter à de la censure. Le document est au stade de la deuxième lecture au Sénat, où le comité des banques multiplie les audiences.

La séance d'hier a débuté par une prise de bec entre la dizaine de sénateurs présents. Le vice-président a accusé le président d'avoir tenté de censurer la réunion, en interdisant aux caméras de télévision de filmer le témoignage.

Le président, le sénateur conservateur David Angus, a nié la chose et après une dizaine de minutes de disputes au cours desquelles M. Angus a répété à plusieurs reprises qu'il se sentait gêné d'offrir ce genre de spectacle au témoin, il a été convenu de reprendre la discussion après le départ de M. Cronenberg.

Le réalisateur de Crash, The Fly et A History of Violence a suivi toute la scène, somme toute commune au Parlement canadien, avec un sourire amusé.

Comme plusieurs acteurs de l'industrie cinématographique qui ont témoigné avant lui, David Cronenberg a qualifié la mesure controversée contenue dans le projet C-10 d'inutile et de dangereuse.

Une banque «vous prête de l'argent sur la base qu'elle peut obtenir un crédit d'impôt, a-t-il expliqué. Pourquoi prendrait-elle elle-même le risque si elle sait qu'elle peut le perdre par la suite?»

La ministre Josée Verner a proposé aux gens de l'industrie de suspendre la mesure pour un an, le temps de les consulter pour établir un cadre de ce qui pourrait être jugé comme contraire à l'ordre public. Certains ont suggéré de tout simplement harmoniser cette notion avec la définition du Code criminel.

M. Cronenberg a rejeté cette idée. «Toutes les solutions proposées semblent générer d'autres problèmes, a-t-il dit. Et puisque les organes de financement sont déjà assujettis au Code criminel, je ne vois pas quel est le problème.»