La morale, les décisions individuelles et le sacrifice sont au coeur du film-choc Hunger, du Britannique Steve McQueen, consacré à Bobby Sands et aux grévistes de la faim d'Irlande du Nord en 1981 et qui ouvrait la section «Un Certain Regard» jeudi à Cannes.
  
Ce film, le premier de McQueen, 39 ans, s'est inscrit dans la droite ligne d'un début de festival âpre et politique. Il est basé sur les grèves de la faim des républicains irlandais dans la prison de Maze en 1981 pour obtenir le statut de prisonniers politiques et la mort de Bobby Sands à l'âge de 27 ans, après 66 jours de jeûne.
  
Le sujet est sensible en Grande-Bretagne et Hunger promet d'y faire polémique. Une perspective que McQueen, sûr de lui et d'un abord brut de décoffrage, balaie d'un revers de main.
  
«Il n'y a pas de polémique. C'est la presse qui crée la controverse. Les gens peuvent réfléchir d'une manière adulte et intelligente», affirme-t-il à l'AFP.
  
De son point de vue, Hunger n'est d'ailleurs «pas un film sur Bobby Sands mais sur les décisions, bonnes ou mauvaises, que prennent les êtres humains et leurs conséquences».
  
«Il y avait deux extrêmes, Margaret Thatcher et les grévistes de la faim. Je ne sais pas si Bobby Sands a eu raison ou non, ça n'est pas le problème. Ce qui est sûr, c'est que sa décision a eu d'énormes conséquences sur le processus de paix en Irlande», souligne-t-il.
  
«Je veux questionner la morale des spectateurs, je veux que l'écran soit un miroir», assure-t-il.
  
Filmé de manière crue et dépouillée, quasiment picturale, Hunger est esthétiquement très réussi. Rien d'étonnant puisque McQueen est un artiste vidéaste lauréat du prix d'art contemporain Turner Prize en 1999.
  
Certaines scènes sont dures, comme celles du tabassage des prisonniers ou de la lente et douloureuse agonie de Sands.
  
Le réalisateur dit avoir voulu s'intéresser «aussi bien aux grévistes de la faim qu'aux gardiens de la prison» dans ce film qui a des résonances très actuelles.
  
«Quand on a pensé au film, en 2003, il n'y avait pas de guerre en Irak, de Guantanamo ou d'Abou Ghraib, mais au fil du temps les parallèles sont devenus évidents», souligne-t-il.
  
La clé de voûte du film est une longue et belle scène de dialogue entre Sands (excellement incarné par Michael Fassbender) et un prêtre à qui il annonce son intention d'entamer sa grève de la faim.
  
Cet échange, que McQueen a voulu «comme un match de tennis ou de boxe», pose la question centrale de la légitimité du sacrifice individuel du républicain, qu'on peut considérer selon les points de vue comme un martyr ou un terroriste.
 
 Malgré les aspects christiques du personnage de Sands, dont le corps de supplicié est couvert de stigmates et qui se sacrifie individuellement pour une cause collective, McQueen assure que «son film n'a rien à voir avec le christianisme».
  
«Ce n'est pas un film chrétien, c'est un film humain!, souligne-t-il. Je n'ai jamais pensé à Jésus mais à des êtres humains de chair et de sang qui prennent des décisions, comme ça arrive partout, tout le temps. Je veux que le film soit un miroir, pas un autel».
  
Enfin, le corps est omniprésent dans Hunger: le corps des prisonniers est maltraité, ils souillent les murs de leur cellule de leurs déjections, cachent dans leurs orifices les objets venus de l'extérieur et Sands abime son enveloppe charnelle jusqu'à la mort.
  
«Ils utilisent la seule chose qu'ils ont à disposition, leur corps», explique McQueen.