Le Festival de Cannes est un marathon pour un journaliste. Et comme au marathon, arrive un moment où l'on frappe le mur. Sur la route, c'est autour du 35e kilomètre. À Cannes, c'est après 9 ou 10 jours.

On perd la notion du temps et du reste du monde. Ce n'est pas lundi ou vendredi, c'est la journée du Eastwood ou du Egoyan. La Troisième Guerre mondiale serait déclenchée qu'on ferait la file pour aller voir le dernier Philippe Garel.

Que la météo soit bonne ou mauvaise importe peu. Les journées se passent dans l'obscurité des salles ou aux conférences de presse. Avec un peu de chance, le journaliste goûtera au temps qu'il fait en dénichant, à la salle de presse, un poste de travail avec vue sur la Croisette et la baie de Napoule.

À partir de ce point d'observation, il peut entendre, mais ne voir presque rien, des séances quotidiennes de photo call, où les vedettes du jour se font mitrailler par une centaine de photographes. Tout le monde crie comme des putois pour obtenir le meilleur profil de la star. «Steven! Steven! Woody! Woody! Penélope! Penélope!»

Quelques minutes, après avoir emprunté une traverse extérieure, à un jet de pierre de ce poste de travail privilégié, les vedettes atteignent la salle de conférence de presse, bouclée par d'importantes mesures de sécurité. Au moins 250 journalistes et photographes peuvent y prendre place. Comédiens, réalisateur, producteur et parfois scénariste sont assis sur une estrade, derrière une longue table. L'ordre de priorité pour les questions est donné par le modérateur. «You, you, and you...»

La plupart des vedettes se prêtent au jeu. Elles sont souvent loquaces (Steve Spielberg), parfois cabotines (George Clooney) ou encore habitées d'une envie palpable d'être ailleurs (Harrison Ford).

Bon an mal an, au moins une conférence de presse réclame du journaliste d'être vite sur ses patins pour arriver à temps. Cette année, ce moment fort est survenu avec la venue de Spielberg, Ford et George Lucas pour l'avant-première mondiale du quatrième opus Indiana Jones. Un joyeux bordel! Quelques vieilles dames auraient été piétinées, raconte la rumeur...

Les risques du métier

Il faut être fait fort, donc, pour couvrir Cannes. Le risque de se choper une conjonctivite aiguë augmente proportionnellement au nombre de projections. Et lorsque le film est d'une platitude consommée, c'est la démence qui vous guette. Comme avec le film philippin Serbis, d'un ennui si affligeant qu'il fait paraître un documentaire sur les moules zébrées comme un thriller. «Un vrai film suppositoire...», comme l'a fait remarquer un collègue québécois avec beaucoup de vocabulaire.

Hier, les journalistes se préparaient, dans un mélange de fébrilité et de fatigue appréhendée, à se farcir l'épreuve d'endurance ultime de cette 61e tenue cannoise, la projection de Che, d'une durée de quatre heures et demie. «On va mettre notre couche...» a lancé une autre collègue, en espérant une pause pipi à mi-chemin.

Coup de cafard

Lorsqu'il n'est pas dans une salle, à voir défiler l'état de notre monde à 24 images/seconde, le journaliste essaie de se détendre. S'il en a le temps et l'énergie, autrement dit, pas souvent, il peut partager un repas dans un boui-boui sympathique avec quelques collègues ou gens du milieu, style représentant d'un distributeur de films ou porte-parole d'un quelconque festival.

Un prétexte à parle de quoi? De cinéma, quoi d'autre? On confronte nos idées (quoi? Tu as aimé le Desplechin? Mais c'est une merde!), on se demande comment caser dans nos horaires les films du lendemain (sacrament! le Egoyan est en même temps que la conférence de presse de Soderbergh), et, fatigue aidant, on s'étouffe de rire en écoutant les autres raconter leur coup de cafard. Comme les gens du Festival en Abitibi-Témiscamingue, avec le film espagnol Le chant des oiseaux (des plans séquences interminables de trois rois mages marchant dans le désert, méchant suspense...)

Lorsqu'il va au lit, généralement assez tard, le journaliste s'évanouit de fatigue. Il rêve alors aux zigotos philippins de Serbis, ou encore qu'il rate la projection du lendemain matin, à 8 h 30, après avoir répété en boucle, toute la nuit, le fameux «Are you talking to me?» de Taxi Driver.

«Stop me making movies of myself», comme le chante ce bon vieux Rufus Wainwright...

Les films vus à Cannes

* * 1/2
Che (Steven Soderbergh, États-Unis)

Évocation de la vie et de l'oeuvre du révolutionnaire Che Guevara. Portrait sans âme et beaucoup trop long. Photographie superbe. La grosse déception du Festival. (Un compte rendu plus exhaustif sera publié demain.)

* 1/2
Surveillance (Jennifer Lynch, États-Unis)

Deux policiers du FBI cuisinent trois témoins afin de connaître la vérité sur une série de meurtres. Un sous-Twin Peaks à la saveur Vendredi 13. Intrigue invraisemblable et personnages ridicules.

Aujourd'hui

Adoration (Atom Egoyan, Canada)
La frontière de l'aube (Philippe Garel, France)
Il Divo (Paolo Sorrentino, Italie)