La firme américaine Monsanto est responsable de la plupart des OGM disponibles sur la planète. Elle produit entre autres des plantes qui résistent aux insecticides et d'autres qui génèrent elles-mêmes leur propre insecticide.

Décriée dans un documentaire explosif, cette situation inquiète au plus haut point les mangeurs de la planète. Le livre et le film Le monde selon Monsanto arrivent au Québec la semaine prochaine. Débat autour de la table.

«Je n'ai rien contre les OGM dans l'absolu, mais je m'intéresse à ceux qui existent maintenant. Et les OGM de Monsanto, je n'en veux pas.»

Manque de chance pour Marie-Monique Robin, Monsanto est le leader mondial du génie génétique. Son maïs, son soya et ses autres plantes qui se protègent elles-mêmes des insectes ou de l'herbicide seraient présentes dans les champs de deux douzaines de pays. Et, par ricochet, sur la table d'un nombre incalculable de nations.

L'auteure et réalisatrice du documentaire Le Monde selon Monsanto affirme qu'elle reverra «peut-être» ses positions le jour où la firme travaillera à développer une variété de patate douce résistante à la sécheresse et destinée à lutter contre la faim dans le monde. «Mais je n'ai pas entendu parler de ça jusqu'à présent», ironise-t-elle.

En fait, la polémiste sera sans doute la dernière informée des projets du grand semencier américain, qui ne la tient pas en haute estime. Son livre et son film commencent à faire beaucoup de bruit dans l'univers agricole. Cette semaine, Marie-Monique Robin a présenté les fruits de son travail à Bonn, au colloque des Nations unies sur la diversité biologique. Car c'est de là qu'est venue sa curiosité envers Monsanto, par la biodiversité. Fille d'agriculteurs, elle s'était intéressée aux céréales dans un documentaire-choc précédent. Sur son chemin, elle avait maintes fois entendu parler de Monsanto. «Ma démarche, au départ, ce n'était pas de faire un film contre les OGM», assure-t-elle au bout du fil, de sa chambre d'hôtel, en Allemagne.

Au bout de trois ans d'enquête, elle calcule que Monsanto est responsable d'environ 90% des OGM disponibles sur la planète. Les plus populaires sont les fameux «Roundup Ready», des plantes faites pour résister à un insecticide que vend aussi Monsanto. Les autres OGM de la firme sont des plantes qui produisent d'elles-mêmes un insecticide que l'on appelle BT. Tout cela sonne comme du jargon scientifique pour le grand public, qui s'y perd facilement. Pour quiconque s'intéresse à l'agriculture, de près ou de loin, c'est langage courant.

«On arrose le soya avec du Round-up. Des résidus se trouvent ensuite dans l'huile qu'on en tire, qui se trouve au final dans nos aliments, explique la réalisatrice. C'est absolument irresponsable.»

Science et sensationnalisme

C'est vrai qu'on en retrouve des traces, mais si peu qu'elles finissent par être indétectables, explique François Belzile, chercheur en biologie moléculaire au département de phytologie de l'Université Laval. Le chercheur ne partage pas les opinions de l'auteure française. «Le Roundup est employé en début de saison, explique-t-il. Il s'écoule plusieurs mois entre l'épandage et la récolte.» Selon François Belzile, cet herbicide est réputé être le moins toxique de la planète.

C'est aussi ce que prétend Monsanto, qui fournit les études aux politiciens qui décident de l'innocuité de ses produits. Et qui les connaît bien. Le documentaire présente un troublant document d'archives où George Bush fait une visite dans ses laboratoires, alors qu'il était vice-président des États-Unis. Bush indique aux dirigeants de la firme, qui montrent leur impatience à voir leur OGM homologué, qu'il favorise la déréglementation. «Donnez-moi un coup de fil», dit Bush père, sourire en coin.

Autre fait surprenant, les «portes tournantes», qui ont permis à des employés ou des consultants de Monsanto de se retrouver ensuite dans les instances gouvernementales qui décident de l'innocuité des produits agricoles, dont ceux de Monsanto.

Monsanto réagit

La multinationale des semences a refusé de parler à Marie-Monique Robin, mais a accepté de donner son point de vue à La Presse. «Le mieux que nous puissions faire est de donner notre version des faits», indique Brad Mitchell, de Monsanto. L'entreprise a mis de nouvelles précisions sur son site mercredi soir. Pas seulement pour réagir à ce documentaire-ci, précise le porte-parole, mais pour toutes sortes de «situations du genre».

La firme de Saint-Louis n'en est pas à sa première controverse. Loin de là. Pour Monsanto, «le film français» n'est pas pertinent. Surtout cette scène en Inde où l'on assiste aux funérailles d'un paysan de 25 ans. Ses rendements de coton transgénique étaient très mauvais. Plusieurs de ses collègues ont aussi d'énormes problèmes avec leurs récoltes. Et les suicides se multiplient dans la campagne indienne. «Je ne sais pas où ils ont trouvé ces fermiers, mais ils ne représentent pas la réalité», contredit Brad Mitchell. «Les fermiers ne sont pas stupides au point de planter du coton transgénique s'il n'était pas rentable», calcule-t-il.

Le chercheur québécois émet aussi de sérieux doutes quant aux documentaires du genre de celui de Marie-Monique Robin, qu'il n'avait par ailleurs pas vu au moment de l'entretien. «Ce sont souvent des films qui frappent, dit François Belzile, mais dont la substance est fausse.»

Une histoire trouble

Or la force du livre de Marie-Monique Robin n'est pas son argumentaire scientifique ou même les récriminations de certains paysans. C'est de semer un doute dans l'esprit du lecteur en énumérant une liste d'études présentées par Monsanto, lesquelles ont été contestées par la suite par des scientifiques indépendants qui en ont parfois payé le prix. Par exemple en étant changés de fonctions ou carrément démis.

Le but de l'auteure, c'est aussi de distiller un doute en citant quelques litiges, comme ces deux condamnations pour publicité mensongère, ou simplement en rappelant l'histoire de la firme de Saint-Louis qui commercialisait jadis des BPC et de la dioxine. La même que l'on a un jour retrouvée dans l'agent orange. C'est ce puissant défoliant que l'armée américaine utilisait pendant la guerre du Vietnam. La réalisatrice s'est rendue en Asie pour faire enquête. «C'est terrible, ces bébés déformés par la dioxine. Mais il y a un moment où il faut appeler un chat un chat. Que Monsanto ait manipulé des études sur la dioxine et caché ses effets toxiques, c'est criminel.»

Pour faire homologuer ses produits, l'entreprise américaine avait aussi présenté des études au gouvernement américain, prouvant leur innocuité. Ils sont maintenant largement reconnus comme dangereux. Et si on trouve encore des traces de dioxine dans certains villages des États-Unis et du Vietnam, il n'y en a plus sur le site de Monsanto.

La firme a été fondée en 1901. La rubrique histoire de l'entreprise débute néanmoins ainsi: «Monsanto est une compagnie relativement nouvelle.» Une chronologie nous indique ensuite les faits d'armes de la firme, avec une distinction claire entre le «Monsanto d'aujourd'hui» et le «Monsanto original». Nulle part on y trouve les mots dioxine ou BPC.

Marie-Monique Robin est convaincue qu'un jour, le Round-Up Ready sera retiré du marché. Interdit, parce qu'on a trouvé qu'il n'était pas aussi sûr que l'entreprise américaine le prétend. Comme ce fut le cas pour les BPC ou la dioxine.