Le jury présidé par Sean Penn a trouvé le moyen de surprendre tout le monde. La Palme d'or, récompense suprême du Festival de Cannes, a été attribuée à l'unanimité au tout dernier film présenté en compétition officielle, Entre les murs de Laurent Cantet. Si cette annonce en a étonné plus d'un sur la Croisette, elle a en revanche ravi bien des festivaliers.

La plupart des observateurs s'attendaient à ce que ce très beau film, tourné avec des acteurs non professionnels, figure au palmarès d'une façon ou d'une autre, mais bien peu envisageaient un destin aussi éclatant pour ce «coup de coeur».

Inspiré d'un livre de François Bégaudeau, qui incarne lui-même le rôle du jeune prof dans le film, Entre les murs suit, pendant toute une année scolaire, une classe constituée d'ados dans un collège «difficile». Sans didactisme aucun, Laurent Cantet propose, à travers les échanges entre les étudiants et le professeur, un portrait de société saisissant, à travers lequel se débattent, probablement de façon plus éclairée que n'importe où ailleurs, de véritables enjeux.

Un film «magique»

À la conférence de presse qui a suivi le dévoilement du palmarès, chacun des membres du jury a tenu à y aller d'un commentaire sur ce film qui, disent-ils en choeur, les a bouleversés.

«Ce fut vraiment un coup de coeur pour nous tous, a notamment déclaré Marjane Satrapi (Persepolis). Car au-delà du cadre de l'école, ce film pose de vraies questions sur le concept de la démocratie. Il ne donne aucune réponse, mais il pose toutes les questions. De surcroît, il aborde des thèmes, la culture et l'éducation, qui nous permettent d'être moins stupides dans la vie!»

Sean Penn a ajouté qu'Entre les murs a d'abord interpellé le jury en tant qu'oeuvre artistique. «Parce que c'est cela qui nous touche avant tout. Ce film est magique dans tous ses aspects, tant sur le plan de l'écriture, de la mise en scène que de l'interprétation. Et en plus, il parle d'un sujet important.»

Ce faisant, le jury a donné à la France sa première Palme d'or en 21 ans. Sous le soleil de Satan, de Maurice Pialat, avait obtenu la récompense suprême en 1987. Auparavant, Claude Lelouch s'était distingué avec Un homme et une femme en 1966, soit... 21 ans avant Pialat!

Des choix surprenants

Maintenant le suspense jusqu'à la toute fin, le jury a par ailleurs accouché d'un palmarès dans lequel on note quelques autres choix surprenants. Penn a d'ailleurs mentionné qu'à part la Palme d'or, une seule autre distinction a été attribuée à l'unanimité. On présume que les négociations ont dû être serrées entre les neuf membres du jury.

Le prix d'interprétation féminine a ainsi été remis à Sandra Corveloni, l'interprète de la mère d'une famille de quatre garçons dans Linha de Passe, film coréalisé par Walter Salles et Daniela Thomas. Même si personne n'avait prédit cette consécration, vraiment venue du champ gauche, cette actrice, qui fait ses débuts à l'écran à l'âge de 45 ans, possède indéniablement une personnalité.

Le prix d'interprétation masculine, décerné à l'unanimité, est allé à Benicio del Toro, saisissant dans la peau du Che de Steven Soderbergh.

L'Italie a de son côté réussi un doublé en enlevant le deuxième et le troisième prix. Gomorra, ce film sur la mafia napolitaine inspiré du livre de Roberto Saviano, a en effet obtenu le Grand Prix; et le prix du jury a été attribué à Il Divo, film au style étonnant réalisé par Paolo Sorrentino.

Le prix du meilleur scénario a été attribué aux frères Luc et Jean-Pierre Dardenne pour Le silence de Lorna; et Nuri Bilge Ceylan a obtenu le prix de la mise en scène pour Les trois singes.

Le jury a par ailleurs trouvé un moyen d'honorer Changeling, que plusieurs voyaient au palmarès, et Un conte de Noël (l'excellent film d'Arnaud Desplechin) en créant un «Prix spécial du 61e».

Clint Eastwood et Catherine Deneuve, qui - coïncidence - avaient coprésidé ensemble le jury de Cannes en 1994, ont ainsi été honorés pour l'ensemble de leur carrière.

L'actrice française était bien entendu sur place pour aller chercher sa distinction, mais pas Clint Eastwood. Personne n'a d'ailleurs daigné signaler cette absence sur scène, ni même l'excuser. Était-ce un compromis de toute dernière minute? Il faudrait bien filmer un jour ces jeux de coulisses...

Tous ces choix, bien entendu, sont défendables. Mais il est quand même une omission qui fut plus remarquée que les autres. Le film d'animation Waltz with Bashir, que la plupart des festivaliers voyaient au palmarès, a en effet été complètement écarté.

Un journaliste israélien, s'expliquant mal cette absence, a fait valoir auprès du président du jury que le film bénéficiait d'une rumeur très favorable, d'un énorme buzz à vrai dire.

«Vous savez, a dit Penn, je suis heureux de constater qu'un buzz ne veut finalement rien dire. Je suis aussi heureux de constater que ce jury a pu fonctionner de façon autonome et souveraine. Il est bien évident que Waltz with Bashir est un film remarquable. Mais chaque fois que nous placions des films à différentes positions dans le palmarès, il en arrivait un autre qui nous provoquait autrement. Et puis, poursuit-il, j'ai bien l'impression que Waltz with Bashir parviendra sans peine à trouver son public, avec ou sans nous.»

Rappelons par ailleurs qu'Adoration d'Atom Egoyan a obtenu samedi le prix du jury oecuménique, tandis que le prix de la critique était remis à Delta de Kornel Mundruczo. Ces deux films ont également été écartés du palmarès officiel.

Le palmarès

Palme d'or : Entre les murs de Laurent Cantet (France)

Grand Prix du jury : Gomorra, de Matteo Garrone (Italie)

Prix de la mise en scène : Les trois singes, Nuri Bilge Ceylan (Turquie)

Prix du jury : Il Divo de Paolo Sorrentino (Italie)

Prix d'interprétation féminine : Sandra Corveloni, Linha de Passe (Brésil)

Prix d'interprétation masculine : Benicio del Toro, Che (États-Unis)

Prix spécial 61e festival : Catherine Deneuve et Clint Eastwood

Prix du scénario : Le silence de Lorna de Jean-Pierre et Luc Dardenne (Belgique

Caméra d'or : Hunger de Steve McQueen (Royaume-Uni)