Si la guerre du Viêtnam a inspiré à Hollywood des dizaines de productions, le cinéma français s’est fait beaucoup plus discret à l’égard du conflit qui a entraîné l’enlisement de son armée en Algérie. «C’est la guerre la plus traumatisante de l’histoire de la France et pourtant c’est l’omertà. On n’en parle pas, même pas à l’école», lance, indigné, Benoît Magimel, vedette de la production L’ennemi intime, de Florent Emilio Siri.

«La France souffre d’amnésie à l’égard de son passé colonial», affirme le jeune acteur de 34 ans, rencontré par Le Soleil à Paris, en janvier dernier. «Les Anglo-Saxons ont beaucoup plus de facilité à vivre avec leur histoire. Il faut savoir briser les secrets, dans la reconnaissance des faits historiques.»

Benoît Magimel, l’un des acteurs français les plus polyvalents de sa génération, incarne dans L’ennemi intime (en DVD) un lieutenant idéaliste en conflit avec un supérieur meurtri et brisé (Albert Dupontel). Une trame narrative qui n’est pas sans rappeler celle de Platoon, où les valeurs morales de Charlie Sheen, Willem Dafoe et Tom Berenger s’affrontaient sur fond de guerre du Viêtnam.

Celui qu’on a vu devant la caméra des Téchiné (Les voleurs), Haneke (La pianiste) et Chabrol (La fleur du mal, La demoiselle d’honneur) avoue avoir grandi, comme la plupart des jeunes de son âge, avec des films de guerre qui ont fait époque, comme Apocalypse Now, The Deer Hunter et Les sentiers de la gloire. Il est plus que temps, selon lui, que la France s’approprie cet épisode noir de son passé colonial et lève le voile sur les atrocités commises en sol algérien pendant les huit ans qu’a duré la «sale guerre» (de 1954 à 1962). Quitte à froisser les susceptibilités du public, L’ennemi intime fait état des tortures infligées aux prisonniers algériens.

«C’est un sujet difficile, mais en même temps, c’était nécessaire. Il fallait dénoncer et dire les choses telles qu’elles s’étaient passées. Les seuls films français tournés jusqu’à maintenant sur la guerre d’Algérie étaient austères sur la forme. Personne n’avait envie d’aller voir ça. Avec L’ennemi intime, on a voulu montrer comment la guerre avait des incidences terribles sur les soldats, et qu’en bout de ligne, l’ennemi, ce n’est pas l’autre, mais celui que l’on devient.»

La peur des Arabes

Magimel estime que cette incursion au cœur de la guerre d’Algérie contribuera à réhabiliter les militaires tombés en disgrâce dans l’opinion publique à leur retour au pays, à l’image des G.I. américains. «Tous ces jeunes de 18-20 ans, issus souvent de petits villages, qui sont allés là-bas, on leur a menti en leur disant que c’était une opération de maintien de l’ordre. Ça n’avait rien à voir. Ils ne savaient même pas contre qui ils se battaient. Ce n’était pas une guerre comme autrefois, mais une guérilla, comme au Viêtnam et en Irak. Quelque part, la peur et la haine des Arabes que l’on connaît aujourd’hui en France sont le résultat direct de la guerre d’Algérie.»

Même Jacques Mesrine, estime Magimel, ne serait pas devenu le dangereux criminel qu’il a été s’il n’avait pas pris part à cette guerre. «Il a déjà dit qu’il avait tué plus de monde là-bas qu’en France. Et que le sang qu’il avait sur les mains était celui de l’Algérie.»

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