Pendant une décennie, Stéphane Géhami a tenté de donner des mots à une relation amoureuse sans lendemains possibles, dans un scénario. Son histoire s'est finalement matérialisée en oeuvre grise avec personnages écorchés. Entrevue avec un réalisateur et scénariste qui a transposé son mal de vivre à l'écran.

Les gens heureux n'ont pas d'histoire, pense Stéphane Géhami. «Et si elles en ont, elles sont plates! lance le scénariste et réalisateur d'En plein coeur. Ça prend une mauvaise nouvelle, un drame, de la cruauté pour faire un film.»

Pour son premier long métrage, Géhami a puisé dans ses histoires de coeur, ses déprimes récurrentes et son mal de vivre occasionnel. Il a donné vie à un héros qui lui ressemble sur plusieurs points: Ben (Pierre Rivard), un voleur de voitures de 32 ans qui opère avec Jimi (Keven Noël), 14 ans. Le premier recherche l'affection, d'une femme à une autre. L'autre, que son père a quitté, recherche l'affection de son collègue criminel. «Ben a de moi le mal d'être, le mal de vivre, le gars qui ne s'aime pas, mais qui est aussi capable d'être insouciant face à la vie, résume Géhami. Parfois, j'ai des downs, tout est noir. Tout le monde est fait comme ça, à différents degrés. Un être humain n'est pas que lumière.»

Et les voitures? «J'en ai déjà volé des chars, à l'adolescence, avoue le réalisateur. Avant 18 ans, il y a eu les vols, la drogue et l'alcool. Après, je n'ai plus fait de mauvais coups. Il n'est resté que la bière!»

Dans toute oeuvre, la fiction serait le reflet d'une certaine réalité, selon Géhami. «On ne peut faire autrement que de parler de choses que l'on connaît. Est-ce possible pour un straight de faire un film sur un gai? Il faut se regarder, s'examiner. Mais mon scénario n'est pas une thérapie.»

Il est la matérialisation d'un projet vieux de 10 ans. En plein coeur (en salle vendredi) est le scénario d'apprentissage d'un réalisateur qui a, jusque-là, principalement réalisé des vidéos d'entreprise. Qui a misé une bonne partie de ses avoirs pour mener à bien son projet chéri. «J'ai vendu un condo et j'ai pris trois cartes de crédit pour faire mon film, dit Géhami qui a investi en tout 150 000$. Je préfère avoir un film qu'un condo. Cela dit, j'espère avoir plus d'aide pour mon deuxième long métrage. J'ai besoin d'encouragements et de reconnaissance.»

Stéphane Géhami a réalisé, produit et monté En plein coeur (au budget de 850 000$) avant même que la SODEC et Téléfilm lui concèdent 525 000$ pour sa postproduction. «Monter l'équipe de tournage, convaincre des techniciens de travailler pour 100$ par jour fut tout un défi, dévoile-t-il. Quand on n'est pas connu, ce n'est pas évident. Mes deux premiers assistants-réalisateurs ont abandonné le projet après deux semaines. Deux assistants-producteurs ont fait de même.»

C'est que le réalisateur ne pouvait se permettre qu'un tournage de 22 jours dans 30 lieux. «Et je n'ai pas fait de compromis sur les lieux de tournage, dit-il. Ça prenait, par exemple, un vrai centre commercial avec une vraie parfumerie, au début du film. Il a fallu chercher et négocier. Souvent, à cause des tournages américains, les propriétaires s'attendent à avoir beaucoup d'argent.»

En plein coeur débute par une coupure: celle d'Anne-Marie (Bénédicte Décary), une vendeuse de parfums, qui tente de couper les ponts avec son voleur de chum qui ne la rend plus heureuse. Elle ne restera toutefois pas éloignée de Ben très longtemps. «J'adore ce genre de personnages qui se promènent au bord du gouffre, note Bénédicte Décary. Anne-Marie est une fille ambivalente, très torturée. Et par le côté très cru de la mise en scène, on sent que les personnages souffrent. On n'est pas dans des scènes bonbon pleines de make-up!»

Si Ben savait aussi ce qu'il voulait «Cet homme a une fêlure qu'il tente de réparer, note Pierre Rivard. Il est en questionnement. C'est la raison pour laquelle ses relations amoureuses trébuchent. Il ne sait pas ce qu'il cherche.»

En plein coeur n'a longtemps été que l'histoire d'un couple qui s'éloigne et se retrouve. «Tout est parti du personnage d'Anne-Marie, confirme Géhami. Une obsession de mes 25 ans. Une histoire d'amour qui ne marchait pas, qui était tragique, qui aurait été belle si elle avait fonctionné. Le personnage Jimi était très peu présent. Mais dans la première version de mon scénario, il manquait de quoi pour structurer toute l'histoire.»

Puis, il y a eu «l'illumination». Stéphane Géhami a eu l'idée de transformer son récit en une histoire père-fils avec un ado voleur qui cherche un père en Ben. Il a ainsi donné de la chair au quotidien de Jimi. «Au début, on écrit un scénario et on ne sait pas trop où on veut aller, estime Géhami, 40 ans. Jusqu'au flash. Les choses se transforment alors facilement. Ce fut long à trouver, car je n'étais pas prêt à assumer l'idée de la paternité. En plein coeur ressemble finalement beaucoup à Chanson pour Pierrot de Renaud.»

Allez viens mon Pierrot/Tu s'ras l' chef de ma bande/J'te r'filerai mon couteau/J't'apprendrai la truande/Allez viens mon copain/J't'ai trouvé une maman/Tous les trois ce sera bien/Allez viens, je t'attends Pierrot, mon gosse, mon frangin, mon poteau, mon copain tu m' tiens chaud, Pierrot «Quand on écoute ça, on a envie de pleurer», conclut Géhami.

En plein coeur prend l'affiche vendredi.