Au volant de sa voiture, un homme est soudainement frappé de cécité. Puis, un autre. Bientôt, tous les habitants d'une mégalopole sont contaminés par le même mystérieux phénomène et sont mis en quarantaine. En portant à l'écran le roman de l'écrivain portugais Jose Saramago, le cinéaste brésilien Fernando Meirelles propose une fable morale dans laquelle l'homme n'est plus très loin de sa nature de primate...

Le nouveau film de Fernando Meirelles (City of God, The Constant Gardener) a eu l'honneur d'ouvrir le Festival de Cannes il y a quelques mois. Très attendu sur la Croisette, Blindness n'a toutefois pas été accueilli là-bas de façon aussi chaleureuse que les deux précédents films du cinéaste brésilien.


«Pour nous, c'était comme une projection-test de luxe! commente aujourd'hui Meirelles quand on lui rappelle le baptême du feu cannois. Nous avons d'ailleurs fait des ajustements depuis. Il est d'ailleurs assez courant que les cinéastes se remettent à l'ouvrage après leur passage à Cannes, car ils ont souvent dû précipiter les choses afin de livrer une copie dans les délais fixés. L'an dernier, Wong Kar-wai a fait exactement la même chose avec My Blueberry Nights. De notre côté, nous aurions de loin préféré présenter notre film dans les derniers jours de la compétition plutôt qu'au tout premier mais un honneur pareil, cela ne se refuse pas. J'avais notamment déclaré à l'époque ne pas être certain que Blindness constituait le meilleur choix pour ouvrir le Festival. Cela dit, je ne pouvais être plus heureux quand j'ai appris notre sélection.»


Blindness (L'aveuglement en version française) est une adaptation cinématographique d'un roman écrit par José Saramago, lauréat du prix Nobel de littérature en 1998. D'une certaine façon, ce projet d'adaptation revêt les allures d'un aboutissement pour Fernand Meirelles. D'autant plus que cette proposition lui est revenue de façon un peu inusitée.
«J'ai lu le livre de José Saramago dès sa parution en 1995 et j'ai tout de suite eu envie d'en faire un film, explique Meirelles. Le problème, c'est que j'étais alors un parfait inconnu. L'auteur ne voulait pas céder à quiconque les droits d'adaptation de son roman, de toute façon. Je crois que le temps a bien fait les choses car si j'avais eu l'occasion de porter cette histoire à l'écran il y a 13 ans, je n'aurais pu faire autrement que de réaliser le film avec peu de moyens, et en langue portugaise. Ce qui, probablement, en aurait réduit la portée. Aussi, je crois avoir gagné en maturité et en expérience depuis cette époque. Je suis maintenant mieux outillé pour comprendre l'histoire qu'a imaginée Saramago.»


Situé quelque part entre Children of Men et Das Experiment, Blindness met en scène des êtres humains en quête de dignité dans un contexte proprement apocalyptique, provoqué par un mystérieux phénomène qui rend toute une population aveugle. Les autorités entassent les «malades» dans des institutions spécialisées où, alors laissés à eux-mêmes, les nouveaux aveugles se livrent à des jeux de pouvoir qui feront des victimes.

Une filière canadienne

L'adaptation cinématographique de Blindness est née dans une maison de production torontoise, Rhombus Media, laquelle a en outre produit plusieurs des films de François Girard, notamment Le violon rouge et Silk.


Dès que le bouquin de Saramago a été publié en anglais, l'auteur cinéaste Don McKellar (Last Night, Child Star) a manifesté l'envie de le porter à l'écran. Il a toutefois fallu attendre plusieurs années avant que l'auteur n'accepte de céder les droits de son roman.


«C'était un immense défi, explique McKellar, auteur du scénario. J'ai lu ce livre d'une traite et j'y ai tout de suite vu le potentiel d'un bon film. En même temps, le style narratif du roman rendait pratiquement impossible toute tentative d'adaptation. Cela m'a motivé d'autant plus!»


Difficilement réalisable dans un contexte canadien, l'idée de faire de Blindness une coproduction internationale s'est rapidement imposée. Par un juste retour des choses, le nom de Fernando Meirelles est tout de suite sorti, comme une sorte de fantasme ultime.
«J'étais évidemment ravi, car la proposition des producteurs, jumelée au travail qu'a fait Don à l'écriture du scénario, correspondait tout à fait à ma vision des choses, observe le cinéaste. Je trouve cette histoire extrêmement puissante, ne serait-ce que par cette façon avec laquelle Saramago illustre à quel point, même après 6000 ans de civilisation, un rien nous sépare de la barbarie. Il suffit d'un seul écueil pour que tout s'effondre! Nous nous croyons très civilisés mais au fond, nous ne sommes rien d'autre que des primates quand vient le moment d'assurer notre survie.»


Julianne Moore, Mark Ruffalo, Danny Glover, Gael Garcia Bernal, Alicia Braga et Sandra Oh font notamment partie de l'imposante distribution requise pour donner chair à cette histoire peuplée de personnages sans nom.


Blindness (L'aveuglement en version française) prend l'affiche le 3 octobre.

Julianne Moore

La femme du médecin
Seule «non aveugle» parmi la population, cette femme suit son ophtalmologiste de mari, placé en quarantaine avec les autres «patients».


«Blindness est une fable morale qui fait écho à un sentiment d'angoisse que nous ressentons très fortement dans nos sociétés présentement. En tant qu'actrice, j'estime qu'il fallait aborder le rôle de façon hyperré réaliste, de manière à rester authentique et à ne jamais devancer les motivations du personnage. J'étais par ailleurs heureuse de participer à une coproduction internationale. C'est la voie de l'avenir. C'était une vraie joie de travailler avec des gens venus du Japon, du Canada, du Brésil, du Mexique, bref, de partout. Nous n'étions que trois Américains sur le plateau! J'ai adoré cette expérience.»


Mark Ruffalo

Le médecin
Acceptant de recevoir en urgence un homme d'origine japonaise soudainement frappé de cécité, cet ophtalmologiste devient lui aussi aveugle...


«À mon avis, Blindness est un roman important qui est maintenant devenu un film important. Peut-être est-ce dû au fait que j'ai maintenant une famille, mais il est évident que j'ai aujourd'hui des préoccupations qui, plus jeune, ne m'effleuraient pratiquement pas l'esprit. Outre le fait qu'il était mené par des gens de très grand talent, ce projet m'attirait justement à cause des thèmes qu'il abordait. Et de la réflexion qu'il suscite.»
Gael Garcia Bernal Le roi du dortoir 3
À la tête d'un groupe de «patients» plus «radicaux» dans leur approche, le roi du dortoir 3 estime qu'en matière de survie, la fin justifie les moyens.


«J'avais lu le roman il y a quelques années et je l'avais trouvé exceptionnel. Ce qui m'intéresse particulièrement dans cette histoire est le débat philosophique qui en découle. Le personnage que j'incarne n'est ni un superhéros ni un mauvais gars. Il s'agit d'un type qui tente de survivre dans des circonstances extrêmes, et qui ne fait pas toujours les meilleurs choix. Je ne porte évidemment aucun jugement là-dessus car dès que survient une catastrophe, plusieurs êtres humains ont tendance à mettre leurs beaux principes de côté pour se fier à leurs instincts plus primaires. C'est en cela que je trouve le débat philosophique entre le médecin et le roi du dortoir intéressant. Cette histoire est très riche et comporte plusieurs niveaux.»


Danny Glover

L'homme au bandeau noir
Voyant déjà mal avant même l'éclosion de l'épidémie, l'homme au bandeau noir, considéré comme étant l'alter ego du romancier, a peut-être une meilleure compréhension de la situation.
«J'ai été complètement happé par cette histoire à la lecture du livre. La première chose qui m'a traversé l'esprit en lisant ce bouquin a été de constater à quel point, paradoxalement, cette histoire donne foi en l'être humain. On y célèbre même son existence. J'ai ressenti cela de manière très forte pendant le tournage, et chaque fois que je revois le film, j'y découvre de nouvelles choses, ce qui est, à mon avis, la marque d'une oeuvre importante. Si ce film peut élever les consciences, ne serait-ce que pendant un moment, je crois qu'il aura accompli quelque chose.»