Une petite victoire inespérée, qui ne justifie toutefois aucunement de voter conservateur. Voilà comment le milieu du cinéma québécois et canadien réagit à la volte-face des conservateurs sur le projet de loi C-10, décrit par plusieurs comme un outil de censure.

Dans leur plateforme électorale, les conservateurs annoncent qu’ils renonceront au volet du projet de loi concernant la télévision et le cinéma. Ce volet du projet de loi donnait au ministère du Patrimoine le pouvoir de retirer des crédits d’impôts accordés à la production de films jugés «contraires à l’ordre public».

Le milieu du cinéma et de la télévision l’avait condamné unanimement. Adopté à l’unanimité en Chambre, le projet de loi C-10 était à l’étape des amendements au Sénat. Il est mort au feuilleton avec le déclenchement des élections.

Les conservateurs ont promis aujourd’hui de laisser tomber le volet concernant la production audiovisuelle.

«L’industrie et les partis de l’opposition on changé de position et nous avons indiqué une compréhension de leurs inquiétudes envers les investissements et nous avons indiqué notre volonté de l’amender», explique Stephen Harper.

À moins d’une semaine des élections, l’annonce a surpris tout le monde.

«Quand on me l’a appris, je croyais que c’était une blague», raconte Jean-Pierre Lefebvre, président de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ).

Il se réjouit que «le bon sens triomphe?». «C’était tellement malhonnête de cacher cette mesure dans un projet de loi de 600 pages de réforme du système fiscal. Et les effets auraient été vicieux pour notre cinéma. Le gouvernement se réservait le droit de ne pas accorder les crédits à un film, ou même de les retirer après coup. Pourtant, le Canada possède déjà des lois et une Charte qui empêchent les dérapages. C’était inutile. De la censure, tout simplement.»

Joint chez lui, David Cronenberg était cinglant. «C’est leur première coupe en culture légitime», ironise-t-il.

A History Of Violence, film du réputé réalisateur, aurait pu voir son financement affecté par les critères de C-10. «C’est le morceau législatif le plus absurde que j’ai vu. Du totalitarisme. Après tout, il donnait un pouvoir complet à des bureaucrates n’ayant aucun compte à rendre.»

Comme MM. Cronenberg et Lefebvre, Denise Robert (L’âge des ténèbres) a critiqué le projet devant le Sénat. «J’apprends aujourd’hui une bonne nouvelle. J’espère qu’elle sera réalisée. Car on sait ce qui arrive parfois avec les promesses électorales», avance-t-elle.

Le producteur Pierre Evan (Nitro) refuse toutefois de parler de victoire.

«Ce n’est pas positif. Je dirais plutôt que l’affaire devient moins négative qu’elle ne l’était. Cette histoire était et demeure ridicule. Tous s’opposaient au projet. On aurait dû l’annuler depuis longtemps.»

Pas d’appuis

L’annonce n’a pas du tout réconcilié les artistes avec les conservateurs. Tous ceux à qui nous avons parlé répètent la même chose: ils ne voteront pas conservateur. Au contraire, plusieurs en ont profité pour critiquer à nouveau M. Harper.

«À ma connaissance, c’est la première fois qu’un premier ministre fait campagne en opposant une population à sa culture. (…) Il faudrait maintenant que les conservateurs renoncent aux coupes en culture», lance le producteur Roger Frappier, joint au téléphone à Paris.

Quant au réalisateur Philippe Falardeau (C’est pas moi je le jure!), il s’est tout de même réjoui de cette «victoire pour la démocratie». «Voir un gouvernement se rétracter grâce à la pression populaire, c’est toujours une bonne nouvelle.»

«Diversion», prétendent les libéraux

Stephen Harper a affirmé que tous les partis de l'opposition, jusqu'à récemment, appuyaient le projet de loi. «L'industrie et les partis d'opposition on changé de position et nous avons indiqué une compréhension de leurs inquiétudes envers les investissements et nous avons indiqué notre volonté de l'amender», assure-t-il.

Les partis de l’opposition, eux, prétendent que le volet sur le cinéma et la télévision, inclus dans le projet de loi de 600 pages sur la réforme fiscale, leur avait échappé. 

Le Parti libéral assure qu’il s’opposait et qu’il s’oppose toujours farouchement au projet.

«Il est minuit moins cinq, les conservateurs paniquent», prétend Denis Coderre, critique de l’opposition officielle en matière de culture.

M. Coderre qualifie même l’annonce de «diversion». «Les conservateurs n’ont pas changé d’idée pour les coupes, et ils prônent encore la censure. On a appris que des compagnies de théâtre et des organisations culturelles ont eu à passer à travers le filtre de (l’Agence du) Revenu Canada. On leur disait: si vous ne vous soumettez pas au questionnaire pour démontrer que vous respectez l’ordre public, vous allez perdre votre numéro de charité.»

Il salue le travail des artistes et des sénateurs libéraux comme Francis Fox qui auraient, selon lui, «aidé à freiner le projet».