Atom Egoyan et Arsinée Khanjian me rencontrent au restaurant Glamour, boulevard Saint-Laurent. Le cinéaste et sa muse sont à Montréal pour la présentation au Festival du nouveau cinéma d'Adoration, très beau film, inquiet et cérébral, sur les thèmes de la fiction et de la filiation.

Le réalisateur et l'actrice ont été des fers de lance de la contestation des coupes en culture du gouvernement Harper au Canada anglais.

Marc Cassivi: Stephen Harper a contribué au schisme entre le public et les artistes, en laissant entendre que les artistes étaient des enfants gâtés qui se plaignaient la bouche pleine...

 

Atom Egoyan: Ce qui est intéressant dans la réaction qu'il a suscitée, c'est qu'elle illustre plus que jamais la différence entre le Québec et le Canada anglais. Stephen Harper croyait cyniquement qu'il irait chercher plus de votes en faisant cette déclaration. En disant ce que bien des gens croient mais n'osent exprimer au Canada anglais: à savoir que les artistes ne sont pas essentiels et que leur soutien est une forme d'assistance sociale. Qu'un leader soit à ce point irresponsable est absolument répréhensible. C'est ça, le vrai problème. Car je ne crois pas, honnêtement, que Harper a coupé davantage dans la culture que d'autres gouvernements. Ces 45 millions sont des coupes symboliques. Ce qui me dérange davantage est qu'il fasse ces déclarations de manière cynique, à des fins électoralistes.

M.C.: Il se nourrit de l'ignorance d'une partie de la population...

A.E.: Et de sa colère. Et de l'incompréhension latente d'un système qui a été essentiel à la culture canadienne. Lorsque j'ai voulu devenir artiste, j'ai été inspiré par une génération florissante d'artistes qui a pu s'exprimer avant moi grâce à ce système. Lorsque j'ai à mon tour pu montrer mes films dans différents festivals, j'ai pensé naturellement que le gouvernement verrait que c'est ainsi que l'on projette notre identité à l'étranger. J'ai senti le changement de cap l'an dernier. On m'a fait l'honneur d'une rétrospective de mes films au Centre Pompidou pour laquelle j'ai obtenu un soutien minimal du gouvernement fédéral. C'était étonnant.

M.C.: Il y a une réelle incompréhension de la part du gouvernement conservateur de l'importance du rayonnement international de la culture canadienne.

A.E.: C'est quelque chose que le Québec, en revanche, a toujours compris.

Arsinée Khanjian: Le Québec peut aussi être à la merci des décisions d'un gouvernement qui considère les artistes comme des parasites sans comprendre leur rôle d'ambassadeurs.

M.C.: L'exemple de la rétrospective du Centre Pompidou me semble assez éloquent à cet égard.

A.E.: J'ai un meilleur exemple. J'ai remporté la semaine dernière le prix Douglas-Sirk à Hambourg. Il y avait des dignitaires de plusieurs pays, mais personne du Canada. Ce n'est pas important pour ce gouvernement. Les choses ont changé. Ça n'a pas toujours été comme ça. C'est pourtant un prix important. Un autre gouvernement aurait envoyé un représentant. Pas que j'en avais besoin...

M.C.: Mais un autre gouvernement s'en serait servi pour promouvoir le pays à l'étranger.

A.E.: Exactement.

A.K.: Il faut dire qu'à l'extérieur du Québec, il y a toujours eu un certain mépris, du moins un réel manque d'enthousiasme, pour le travail des artistes canadiens.

M.C.: Je suis d'accord que le problème ne se trouve pas tant dans les compressions de programmes que dans le fait qu'il n'y a pas de solutions de remplacement proposée à ceux, PromArt et Routes commerciales, qui servaient à faire la promotion des artistes à l'étranger. J'ai interviewé la ministre Verner. Elle n'a pas de Plan B. Le problème est aussi, évidemment, que les conservateurs ont voulu pratiquer la censure en supprimant ces programmes, comme c'était le cas pour le projet de loi C-10. À force, je crois que ç'a fini par avoir un impact sur l'électorat, du moins au Québec.

A.E.: J'ai été tellement heureux que la question soit soulevée pendant les débats. Je regardais le débat avec notre fils de 15 ans. Je lui ai dit: «Je me demande si on osera parler de culture.» Ç'a été pour moi une petite victoire. On aura au moins réussi, comme artistes, à en faire un enjeu de la campagne. La bonne nouvelle, c'est que notre mobilisation a eu un impact. Ce que Harper a voulu, en faisant sa déclaration sur les artistes gâtés, c'est plaire à un plus grand électorat. Il a voulu avoir l'air de celui qui n'accepte aucune dépense inutile ou frivole...

A.K.: Ce qui est évident, c'est qu'une majorité de gens ne considèrent pas les arts comme une dépense inutile ou frivole. Les médias en ont aussi été convaincus. Car le problème du financement de la culture n'est pas seulement un problème gouvernemental, mais aussi médiatique. Les médias du Canada anglais ont de la difficulté à s'identifier aux artistes canadiens. Au Québec, c'est une tout autre réalité. Le Québec adore ses artistes, sa culture, et comprend l'importance politique de la culture comme fondement de son identité. Ce sentiment n'existe pas à l'extérieur du Québec. Entre un gouvernement qui ne croit pas à la culture, et des médias schizophréniques qui ne reconnaissent pas leurs propres artistes, la partie était loin d'être gagnée. Mais les médias, conscientisés par les artistes, ont eu un réel impact.

M.C.: On a tout de même eu le sentiment, au Québec, que la réelle mobilisation des artistes avait surtout lieu ici, et qu'elle n'était pas aussi forte au Canada anglais. C'est une fausse perception?

A.E.: Pas du tout. On a organisé une conférence de presse au Festival de Toronto et des journalistes du Québec nous ont demandé pourquoi nous n'étions pas dans la rue comme à Montréal et Québec. La réaction a été plus physique au Québec. La réalité, c'est qu'il n'y a pas autant d'artistes au Canada anglais qui sont connus du grand public. J'ai entendu une journaliste dire qu'elle avait couvert une manifestation avec des artistes dont elle n'avait jamais entendu parler. La réalité, c'est aussi que la grande majorité des artistes du Canada anglais vivent sous le seuil de la pauvreté. Ils n'ont pas les moyens de se payer une tenue de gala, comme le prétend Stephen Harper. Ses déclarations sur les artistes n'ont rien à voir avec la réalité. Il le sait. Il a tenté de manière cynique et calculée de démoniser les artistes pour plaire à son électorat. Aujourd'hui, il doit en payer le prix.