Roadsworth, l'artiste du bitume, est devenu vedette du jour au lendemain. Un documentaire raconte la montée fulgurante du Montréalais Peter Gibson et dresse le portrait d'un créateur en quête d'identité

«Ça fait bizarre de voir un film sur moi. D'habitude, quand on fait un documentaire sur un artiste, c'est qu'il est rendu à la fin de sa carrière. Alors que moi, j'en suis plutôt au début.»


Peter Gibson, alias Roadsworth, se demande encore ce qui a pu lui arriver. Il y a quatre ans, le jeune artiste montréalais «bombait» clandestinement sur la chaussée pour maquiller la signalisation routière. Avec sa canne d'aérosol, il peignait des hiboux, des douilles, des barbelés ou des fermetures éclair, pour la plus grande joie de citoyens en mal de poésie urbaine.

Puis il s'est fait pincer. Et son arrestation s'est transformée en débat de société. À qui appartient l'espace public? Où s'arrête l'art et où commence le vandalisme? Poursuivi par la Ville, défendu par les médias et des groupes de pression populaire, Peter Gibson est devenu vedette du jour au lendemain. Un peu malgré lui.

Le film Roadsworth: Crossing the Line, à l'affiche au Cinéma du Parc après un passage aux Rencontres internationales du documentaire, raconte l'histoire de cet oiseau urbain, désormais connu dans le monde. Le réalisateur montréalais d'origine américaine Alan Kohl s'interroge non seulement sur l'importance sociale du cas Gibson, mais aussi sur les motivations, les doutes et la notoriété parfois mal assumée d'un artiste qui aspirait au départ à l'anonymat.

«J'ai commencé à filmer Peter un mois avant son arrestation, raconte Kohl. J'avais su, par un ami commun, qu'il était l'artiste mystérieux qui peignait sur le bitume et dont tout le monde parlait. Je lui ai dit: il faut qu'on documente ton travail. Je pensais faire quelque chose de tout petit. Mais avec les événements, cela s'est transformé en long métrage.»

Une naissance artistique

Crossing the Line est donc un film sur l'art, doublé d'une réflexion sur l'espace urbain. Mais c'est aussi -et surtout- le portrait d'un créateur en quête d'identité. Car il capture Gibson à une étape encore floue de son cheminement artistique.

Pourquoi s'est-il mis à peindre sur le bitume? Pourquoi des hiboux, des fermetures éclair et des barbelés? Dans le film, interrogé par les journalistes qui le pressent de questions «profondes», Roadsworth répond parfois de façon hésitante, en cherchant quelque chose d'intelligent à dire. Manifeste politique? Social? Oui, mais encore?

Gibson admet que ses motifs de départ étaient plus ou moins clairs. Il trouve que son travail avait plus d'impact quand il n'avait pas besoin de l'expliquer. Mais il ajoute que son arrestation et sa soudaine notoriété l'ont finalement obligé à définir sa démarche, provoquant du coup sa véritable naissance artistique. «J'avais commencé à peindre de façon spontanée. Je n'y avais pas vraiment pensé avant. Mais là, il a fallu que je développe un langage et que j'élabore sur mes intentions. Tout cela m'a forcé à articuler ma pensée», dit-il au téléphone.

Sorti du placard -symboliquement s'entend- Roadsworth travaille aujourd'hui au grand jour. Il est admiré par plusieurs artistes, incluant la superstar du hip hop Kanye West, qui a récemment parlé de lui sur son blogue. Et il prépare une exposition qui sera présentée l'an prochain à Los Angeles. Loin de la rue, ses prochaines oeuvres seront, dit-il, faites à «beaucoup plus petite échelle».

Lucide, le Montréalais de 34 ans est conscient que cette histoire l'a auréolé de façon «non naturelle». Et que les attentes à son sujet, seront probablement très élevées. À lui, dit-il, de garder la tête froide.

«Je sais que notre culture est très portée sur le hype. Et je sais que les médias doivent toujours nous donner du nouveau. Mais il faut quand même mettre les choses en perspective. Je suis connu, mais je ne suis pas Paris Hilton...»

Crossing the Line a été présenté en première mondiale aux Rencontres internationales du documentaire (www.ridm.qc.ca). Il est présentement à l'affiche au Cinéma du Parc.