«J'ai été, et je suis toujours un militant, nous dit le documentariste Manuel Foglia par téléphone de Québec, où il se trouve pour la promotion de Chers électeurs. Je me suis vite intéressé aux choses de l'État, au monde des relations diplomatiques, au rapport du citoyen avec l'État. J'ai pensé à un film qui pourrait s'intituler «Botte-toi le cul, citoyen». C'est presque une sorte de document d'information pédagogique.

Depuis un bout de temps je cherche à comprendre ce qu'on appelle la chose politique. J'ai voulu parler de ça. On a généralement un mépris candide pour les députés qu'on a pourtant mis au pouvoir, j'ai voulu en apprendre plus sur leur job qu'apparemment personne ne voudrait faire.»

Chers électeurs suit le parcours souvent pénible et franchement ennuyeux de deux députés que tout oppose politiquement et géographiquement: l'urbain frétillant Daniel Turp, péquiste dans Mercier, et la rurale un peu blasée Charlotte L'Écuyer, représentante libérale dans Pontiac.
Chers électeurs témoigne d'existences généreuses et de dévouements qu'on devine sincères, mais aussi de vies proprement ennuyeuses et plates, à nos yeux du moins, et telles que décrites par la caméra de Manuel Foglia, laquelle s'est promenée dans les endroits les plus tristes et gris du monde: les bureaux et les salles d'assemblée.

«J'ai mis beaucoup de temps à créer des liens avec ces gens-là, raconte le cinéaste. Il y a dans mon travail une démarche anthropologique. Ce n'est pas un film partisan. Je tenais à rencontrer ces acteurs politiques de façon assidue, les suivre dans leur travail quotidien, les présenter comme dans un documentaire animalier.»

Manuel, qui a beaucoup profité de son expérience à l'émission La course destination monde, laisse entendre que son film est le produit à la fois d'une indignation générale, profondément ancrée en lui, et d'une saine curiosité: «Des gens, de milieux et de métiers différents, m'ont dit que c'est un film qui reste en eux, qui vit en eux après coup, donc qui porte à réflexion.»
Vrai que, sans en apprendre long sur les grands enjeux politiques ni sur la nature du pouvoir authentique -les députés n'ont que très rarement, voire jamais, accès aux grandes sphères, et doivent s'arranger sur le terrain avec des gens aux ennuis variés- , Chers électeurs donne au citoyen, de manière presque subliminale, envie de s'impliquer un peu dans les affaires de leur circonscription.

Le ton n'est pas au cynisme, même s'il s'en dégage une espèce de douce ironie, tristounette mais qui ne relève jamais du constat d'échec: «La politique peut mener à tout et à rien. L'Assemblée nationale, le décorum, les cloches qui sonnent pour rappeler à l'ordre, cela fait penser aux corridors de Brébeuf. Enfin, mon film n'est absolument pas sexy. Il y a des moments navrants et des moments de tendresse aussi où on a envie de dire de ces députés: «Aidez-les!» Je voulais réconcilier les gens et les députés en les humanisant, eux qui se battent souvent avec l'énergie du désespoir.»

Oui, ces prochaines élections provinciales paraissent d'un ennui des plus sinistres, le film de Manuel Foglia rappelle que la vie politique n'est pas qu'un show de télé et que nous, du peuple, comme nos petits élus de région, pouvons changer un peu les choses, en cette ère du spin, du clip et de l'abrutissement consenti.