Drôle de destin que celui de la peintre française Séraphine de Senlis. Orpheline, femme de ménage, femme pieuse et populaire, Séraphine a été une peintre découverte par hasard par un collectionneur d'art allemand, au début du XXe siècle, morte dans la folie et l'oubli. Pour le réalisateur Martin Pronovost, Yolande Moreau incarne Séraphine.

Rencontrée lors de son passage au plus récent Festival du nouveau cinéma, Yolande Moreau évoque avec sympathie et admiration l'incroyable destin de Séraphine, peintre malgré elle, dont les toiles, disait-elle, lui étaient soufflées par Dieu.

«Avant même de voir ses peintures, ce qui m'a séduit, c'est le parcours de cette femme. C'était un personnage hors du commun, un rôle en or pour une comédienne, dit Yolande Moreau. C'est un rôle très riche, très complet. D'abord parce que c'est une femme qui vient d'un milieu modeste: elle n'avait pas d'apprentissage, elle peint sous une inspiration divine.»

Très prisée du grand public français, Yolande Moreau a tourné tant pour Jeunet (Amélie Poulain) que pour Breillat ou Dupontel avant de se distinguer avec son premier long métrage (Quand la mer monte). Elle ne cache pas son penchant pour les personnages atypiques.

«J'aimais que Séraphine ait ce décalage avec la réalité. Cela rend les gens complexes, ça les rend intéressants», poursuit-elle. Séraphine a fini ses jours dans un asile psychiatrique, où elle a arrêté de peindre. Pourtant, Yolande Moreau se refuse à parler de folie.

«Je n'aime pas parler de folie. Séraphine a des blessures: elle a été orpheline très tôt, elle est allée au couvent. Certains écrits disent qu'elle s'est arrêtée de peindre à l'asile, d'autres disent que Wilhem Uhde (le collectionneur allemand qui l'a découverte, NDLR) lui a demandé de peindre un tableau, mais qu'elle disait qu'elle ne pouvait pas. Ses derniers tableaux sont extrêmement tourmentés.»

Yolande Moreau a d'ailleurs préparé son rôle en s'inspirant des lieux où a vécu Séraphine, mais aussi de sa peinture et des écrits qui lui sont consacrés. «Il y a comme ça une approche faite de tout et de rien, j'ai appris peut-être une crédibilité dans les gestes, c'est pour moi une manière de rentrer dans le personnage», dit-elle.

Le destin tragique d'une autre artiste, Camille Claudel, vient à l'esprit quand on évoque Séraphine. Yolande Moreau acquiesce, même si elle a pris garde de ne pas regarder la composition d'Adjani dans le film de Bruno Nuytten. «J'ai eu peur de voir ce film-là, qui est proche dans l'histoire bien que les milieux soient différents», dit-elle.

Entre ses moments de drame et ses tragédies, Séraphine offre des moments de grâce, de poésie et d'humour. «J'adore que les gens rigolent dans la salle... J'aime beaucoup quand le rire n'est pas un rire qui se moque, mais un rire d'humanité», dit-elle.