On annonçait une bonne récolte; le Québec a finalement eu droit à une année cinéma morose. Côté box-office, le cinéma québécois a moins séduit qu'au cours des années précédentes : en date du 27 novembre, trois films seulement avaient dépassé le cap du million de recettes (Cruising Bar 2, Dans une galaxie près de chez vous 2, Borderline).

L'industrie du cinéma a aussi vécu de profonds changements cette année. Dans le sillage de la disparition du distributeur Christal Films a émergé un autre acteur de premier plan au Québec, Les Films Séville, propriété d'Entertainment One, premier concurent canadien d'Alliance.

Et où sont passés les plateaux de tournage américains? Après la hausse du huard en 2007, la province a subi les effets de la grève des scénaristes, de la potentielle grève des acteurs et du début de la récession américaine. À l'horizon 2009, aucun nouveau tournage n'a été encore annoncé.

Un autre domaine dans lequel Montréal s'est beaucoup illustré les effets spéciaux risque de souffrir de la disparition cette année de trois entreprises : Météor Studios, Damn FX et Big Bang Digital Studios. Une centaine d'anciens employés de Météor attendent toujours 850 000$. Damn FX doit, elle, près de 350 000$ en salaires, vacances et assurances à ses anciens employés.

Les difficultés que l'industrie a traversées cette année sont-elles structurelles ou conjoncturelles? Du côté de la distribution et des recettes, David Reckziegel, l'homme fort de Séville, se veut rassurant : «L'industrie ne va pas descendre, le box-office global se maintient.» Il ne reste plus, donc, qu'à attendre 2009, et peut-être de meilleures nouvelles. D'ici là, voici un bilan de l'année cinéma au Québec.

UNE ANNÉE TRÈS SPÉCIALE DANS LES EFFETS SPÉCIAUX

Il y a quelque chose de spectaculaire à écouter les anciens employés de compagnies d'effets spéciaux montréalaises qui ont mis la clé sous la porte cette année: Météor Studios (Journey to the Center of the Earth 3D), Big Bang (Dennis The Menace) ou encore Damn FX (Sea Monsters). Spectaculaire, mais parfaitement déroutant.

Son histoire, Aurélien* la raconte de la même façon que ses anciens collègues de Damn FX à qui La Presse a parlé. Cela commence par des chèques de paie qui ont «rebondi», en pleine période des Fêtes, l'an dernier. Les remboursements d'assurance ont fini par ne plus arriver. Et en septembre, l'entreprise a finalement fermé ses portes.

«Damn FX me doit quatre semaines de salaire et ma paie de vacances. On doit aussi me rembourser quatre mois de cotisation à l'assurance collective», résume Pierre*, un ancien artiste de l'entreprise. Le président, fondateur et actionnaire majoritaire de Damn FX, Martin Leduc, acquiesce: l'entreprise doit bien environ 350 000$ à ses ex-employés.

Que s'est-il passé? Anciens employés et anciens cadres offrent des versions discordantes des derniers mois de l'entreprise: problèmes de gestion interne, contrats qui tardent à se concrétiser. Au moment de sa fermeture, en septembre, Damn FX avait pourtant mis la main sur plusieurs contrats lucratifs (Red Cliff, de John Woo, ou le jeu Halo 3 Recon).

«Si on n'avait pas eu un mauvais hiver (au chapitre des commandes venant de productions américaines), on n'aurait pas eu ces problèmes chez Damn FX. Il y a aussi eu des problèmes de gestion, d'administration», plaide Martin Leduc.

M. Leduc a fait personnellement faillite dans la foulée de la fermeture de son entreprise. L'ancienne directrice générale de Damn FX, Josée Lalumière, licenciée en août à la suite de désaccords majeurs avec Martin Leduc, a créé une nouvelle société, New Breed Visual Effects, avec l'un des artistes les plus «californiens» de Montréal, Émile Ghorayeb.

«Nous avons une philosophie différente des studios comme Damn FX et compagnie. New Breed est en train de construire son infrastructure pour s'assurer d'être capable de gérer la charge de travail qui sera dirigée vers elle dans les mois qui viennent», dit Émile Ghorayeb, par ailleurs président et cofondateur de la Advance Digital Art Production Techniques (ADAPT).

Martin Leduc travaille désormais de son côté pour Marc Côté (Fake Studios) et la nouvelle entreprise créée par ce dernier, Red FX, qui vient tout juste d'achever la production de Red Cliff. D'autres projets sont en route, assure M. Leduc. La création de cette nouvelle entité a, tout comme celle de Lumiere VFX après la fermeture des Studios Météor, fait tiquer certains anciens employés.

«Mon impression est que le but ultime était de fermer la compagnie (Damn FX) pour l'ouvrir sous un autre nom, Red FX. On savait tous que la moitié des employés n'irait pas là-bas. Comme de fait, c'est ça qui est arrivé. La plupart sont toujours sans emploi», note un ancien cadre.

Mauvaise réputation

Malmené par Météor Studios puis par Damn FX, l'artiste américain Dave Rand fustige la gestion aléatoire des compagnies montréalaises. «Vous travaillez dans les effets spéciaux, une industrie passionnante, et vous êtes traité de cette façon! Je ne veux absolument pas que ces pratiques deviennent la norme et que cela arrive aux États-Unis», nous dit-il, depuis Los Angeles où il s'est réinstallé.

Si la fermeture de Big Bang Digital Studios, au début de 2008, a été moins dramatique que celles de Météor et de Damn FX, les artistes laissés-pour-compte s'inquiètent pour l'avenir de l'industrie des effets spéciaux à Montréal: «Il n'y a plus beaucoup de productions qui viennent à Montréal, et il y a sûrement une raison à cela: tout le monde, à Los Angeles, sait ce qui s'est passé ici», croit Aurélien*.

Pour conserver l'anonymat de nos interlocuteurs, l'astérisque indique un prénom fictif.

LE BOX-OFFICE A LE MORAL EN BERNE

Après les années folles, l'année creuse. En 2008, à peine trois films Québécois ont dépassé la barre du million de recettes au guichet, Le cas Roberge a été un échec cuisant et les films de Louis Choquette (La ligne brisée), Charles Binamé (Le piège américain) ou Philippe Falardeau (C'est pas moi, je le jure!) ont dû se contenter de succès tout relatifs.

David Reckziegel, le coprésident des Films Séville, admet une déception à l'égard de la performance en salle du plus récent Philippe Falardeau. «On est déçus, mais il faut se rajuster comme distributeur au potentiel de nos films. Il ne faut pas penser que tous nos films peuvent faire 2 ou 3 millions de recettes.»

Chez Alliance, la prudence règne quant aux conclusions à tirer de cette année très moyenne. Commentant le bon départ en salle de Babine, sorti la semaine dernière, le président d'Alliance Vivafilm, Patrick Roy, estimait qu'«il n'y aura jamais une année où tous les films seront des méga-succès.»

Le patron de TVA Films, Yves Dion, se veut confiant pour 2009. «Ça prend des films pour lesquels les gens vont vouloir faire un détour pour aller voir. On a absolument besoin de film crochet, avec soit des personnages de chez nous, soit des comédies, soit des biopics», dit le distributeur de Dédé à travers les brumes, sur la vie du chanteur des Colocs, André Fortin.

Enfin, ces embûches ne devraient pas déstabiliser les distributeurs montréalais en 2009. «On a des compagnies très bien financées : Alliance, Entertainment One, Maple», croit David Reckziegel.

Mieux : les indépendants n'ont pas été échaudés par les difficultés de 2008. Atopia, jusqu'ici très discrète, pourrait s'imposer en 2009. Pascal Maeder évoque des sorties de film plus importantes (parmi lesquelles, le prochain André Forcier). Il sera aidé par Joanne Sénécal, l'ancienne vice-présidente de Christal Films distribution, qui vient de se joindre à Atopia.

Fondée par Stéphanie Trépanier (Festival Fantasia), Evokative Films (Le tueur) espère se faire une place à Montréal grâce à la distribution de films de genre internationaux. «C'est un type de cinéma qui attire les gens de ma génération» croit la jeune entrepreneure.

DES ENTREPRISES QUI CONNAISSENT LA CRISE

La pénurie de tournages américains a eu des répercussions sur les PME et les artisans québécois du cinéma. «C'est une année très difficile. Nous, on est en moyenne plus de 30 employés. Là on est rendus cinq», constate Marcel Paré, président et fondateur de la compagnie de location de véhicules pour les plateaux Star Suites.

«C'est un secret de Polichinelle : tout le monde sait ce qui se passe. C'est une mauvaise année, on a une baisse d'activité avec le manque de tournages américains, dit Gaëtan St Antoine, attaché politique de l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son. On est passés d'une masse salariale de 10 millions pour les tournages américains l'an dernier à seulement 124 000$ cette année : vous pouvez voir la différence.»

Crise économique, conflits entre les producteurs et syndicats américains, taux de change défavorable, concurrence des programmes de crédits d'impôt des États américains et des autres provinces canadiennes : nombreuses ont été les plaies à s'abattre sur le Québec.

«Oui, on a des problèmes avec les Américains mais on a plein de bibittes chez nous», déplore M. Paré. L'organisme chargé de la promotion du Québec, le Bureau du cinéma et de la télévision du Québec (BCTQ), peut en témoigner : un quart de son budget a disparu sous l'effet d'une compressionfédérale.

«On n'a pas fait de fam tour (tournées de promotion pour les producteurs américains, ndlr) depuis l'automne 2007. C'est clair que ça influence les tournages. À quel degré? C'est difficile de le mesurer. Mais chaque fois qu'on enlève un morceau de promotion, ça enlève nos chances», constate le commissaire du BCTQ, Hans Fraikin.

«Tout le danger d'une sécheresse qui dure trop longtemps, c'est pour les grosses entreprises qui ont des investissements à amortir. Heureusement pour les entreprises québécoises, il y a quand même une industrie locale qui a un volume de production de 900 millions. Ça fait travailler», souligne M. Fraikin.

MEILLEURE CHANCE... EN 2009

Devant un portrait pour le moins décevant de l'état de l'industrie du cinéma, faut-il prédire le pire pour 2009? Yves Dion, le patron de TVA Films, est catégorique: «Le film québécois va reprendre sa place en 2009», promet-il. Les plateaux américains reviendront eux aussi à Montréal.

«Il y a eu tellement peu de productions l'an dernier que maintenant, les studios sont obligés de produire. Les majors, mini-majors et indépendants préparent la nouvelle vague de productions», prévoit le commissaire du BCTQ, Hans Fraikin.

La disparition de Météor ou de Damn FX ne signifie pas la fin des effets spéciaux à Montréal. «Cela ne reflète pas la santé du secteur, affirme M. Fraikin. Tout ce que je peux dire, c'est que les contrats de manquent pas pour les autres Hybride, Rodéo, New Breed -, l'engin tourne à plein régime.»

Du côté des cinéastes, l'inspiration ne manque pas puisque les organismes de financement public du cinéma, la SODEC et Téléfilm Canada, font face cette fin d'année à un nombre exceptionnellement élevé de demandes 43 projets francophones, pour six heureux élus.

Le box-office de l'année 2008 suscite bien des réflexions chez le réalisateur Charles Binamé. «Faut-il redéfinir ce qu'est notre public? Force est de constater que le public n'est pas au rendez-vous comme on le souhaiterait. Peut-être vaudrait-il mieux, finalement, se contenter d'un public moins important quand on ne fait que 20 films par année», conclut le cinéaste.