À la ville ou au grand écran, Fabrice Luchini donne l'impression d'être le même. Enflammé, volubile, l'ego bien en selle. Or, ce passionné de théâtre et des grands auteurs français, qui se qualifie lui-même de «velléitaire», a aussi ses angoisses. Au point de donner l'impression, l'espace d'un moment, de tout vouloir plaquer. «C'est un métier qui bouffe ta vie...»

En cette fin de journée de janvier, au chic Grand Hôtel, à deux pas de l'Opéra de Paris, l'acteur au verbe éloquent a manifestement plus le goût de s'épancher sur ses états d'âme ou ses fantasmes sur les Québécoises que sur son plus récent film, La fille de Monaco (à l'affiche au Clap la semaine prochaine), tourné sous la direction d'Anne Fontaine.

Monaco ne lui inspire rien qui vaille, fait-il savoir aux représentants du Soleil et de l'hebdo montréalais Voir. S'il parle de la ville du prince Rainier, c'est pour se souvenir d'un spectacle sur Céline, fait il y a une vingtaine d'années, devant un parterre de «grands bourgeois» habillés en smoking et venus en Rolls. Et Luchini de réciter sur-le-champ une tirade de Voyage au bout de la nuit, devant deux journalistes éblouis par son toujours étonnant maniement de la prose...

Faut dire que Luchini se fait un délice de promener un peu partout ses lectures de grands auteurs. Montréal a souvent figuré sur son itinéraire. Il compte d'ailleurs revenir en septembre. «On m'a dit souvent : ?Va là-bas, au Québec, les femmes n'ont aucun rapport moral à la sexualité?. Mais il ne m'est rien arrivé de particulier, sinon une fille étrange qui a traversé la salle pour venir me rouler une pelle. Ce qu'elle avait comme goût...», glisse-t-il, fier de son effet.

 

Théâtre et cinéma : essentiel

Révélé par Rohmer (Le genou de Claire, Les nuits de la pleine lune), Fabrice Luchini roule sa bosse au cinéma depuis la fin des années 60. Sa filmographie compte plus d'une cinquantaine de titres, dont le mémorable Beaumarchais, l'insolent, d'Edouard Molinaro, qui lui a valu le César du meilleur acteur en 1995.

Malgré cette feuille de route bien garnie, Luchini (né Robert Luchini) garde toujours un pied, voire les deux, sur les planches. C'est quelque chose de vital et d'essentiel pour lui, même si jouer à la scène et au cinéma ont bien peu à voir, insiste-t-il.

«On apprend un métier au théâtre et, éventuellement, les cinéastes bénéficient de l'affinement de la technique que produit le vrai théâtre, explique-t-il. Le théâtre est un endroit où l'on apprend le cinéma. C'est comme marcher ou danser.

«Au cinéma, tu n'as aucune responsabilité, tu es un élément (parmi d'autres). C'est très agréable d'être dans ce lâcher-prise. C'est un abandon qui ressemble à quelque chose de très féminin. Le rôle d'un acteur au cinéma, c'est d'apprendre que le patron, c'est le cinéaste. (...) J'aime mieux le théâtre, mais j'adore le cinéma. Et je ne pourrais pas que faire du cinéma.

Ras-le-bol

Lorsqu'il fait un retour sur son passé, Fabrice Luchini voit un homme qui a consacré sa vie à travailler comme un forcené les textes des grands dramaturges français. Et qui aurait envie de passer à autre chose... s'il en avait la force et le courage.

«J'ai étudié dans l'une des écoles de théâtre les plus dures de France, où l'on apprenait Molière, Corneille, Racine et La Fontaine avec un bâton et des pierres dans la bouche. J'ai été obsédé pendant 35 ans, jour et nuit, par le travail sur les textes des grands auteurs. C'était ma névrose. Maintenant, ça va, je dis stop! J'en ai marre de tout cela, ça me casse les couilles, j'en ai ras le bol...Si je pouvais me débarrasser de tout ça, vous pouvez pas savoir. (En même temps), je ne suis pas prêt à accepter la retraite, je n'ai pas l'état psychique suffisant.»

Il continue : «Je suis velléitaire, dans tout. La seule fois où je ne l'ai pas été, c'est lorsque j'ai rencontré les grands écrivains. Je suis velléitaire, je commence un truc et au bout de deux ans, j'en ai marre. Je n'ai aucune régularité, aucune constance dans mes relations amoureuses. Je suis un fainéant contrarié qui travaille par angoisse.»

Représentation pour la galerie ou pure vérité? On ne saurait trop dire. Toujours est-il que Fabrice Luchini croit que la solution à ses angoisses existentielles se trouve quelque part chez nous, sur le bord d'un lac, dans la fameuse cabane au Canada, avec une délurée fille du pays.

«Ce serait le niveau supérieur. Avec une bonne Québécoise qui te dit : ?On continue à jâser (il prend l'accent) ou tu m'enfiles??»

De toute évidence, on peut sortir Luchini du cinéma, mais on ne sortira jamais le cinéma de Luchini...

 

Anne Fontaine et le destin qui bascule

Pour la première fois de sa carrière de réalisatrice, amorcée il y a 16 ans, Anne Fontaine tâte de la comédie avec La fille de Monaco. «Une comédie un peu grinçante» sur son thème de prédilection : les destins qui basculent.

La cinéaste de Nettoyage à sec, de Nathalie et d'Entre ses mains a trouvé «amusant» de camper l'action de son film à Monaco, ce «royaume d'opérette un peu dérisoire» où elle fait se rencontrer un trio de personnages qui ont bien peu en commun. Un avocat volubile, cultivé et cérébral (Fabrice Luchini), un garde du corps renfermé et peu bavard (Roschdy Zem) et une Miss Météo (Louise Bourgoin) qui enflammera le coeur des deux autres.

La genèse du scénario, précise Anne Fontaine, est cependant partie du tandem masculin. «Je trouvais intéressant d'imbriquer le destin d'un homme brillant, compliqué, incapable de lâcher prise (Luchini), qui se retrouve protégé par un type (Zem) dont le rapport au langage est laconique. Au fur et à mesure, un transfert va s'opérer entre les deux hommes. L'un va chercher la simplicité, alors que l'autre va devenir plus complexe.»

La cinéaste de 49 ans a longtemps cherché la jeune actrice capable d'incarner cette fameuse fille de Monaco. Elle a effectué un casting intensif de toutes les candidates possibles en France, lorsqu'une connaissance lui a parlé de Louise Bourgoin, alors présentatrice météo au Grand journal de Canal Plus.

Même si son expérience devant la caméra se limitait à la télé, l'ex-mannequin de 28 ans lui a tout de suite plu.

«C'est quelqu'un de très drôle, avec beaucoup de sex-appeal et de fraîcheur. À la télé, elle faisait des petits sketchs, jamais vulgaires. J'ai eu un coup de coeur pour elle. Je croyais qu'elle pouvait tenir la dragée haute à Luchini.» 

Les frais de déplacement et de séjour à Paris ont été payés par Unifrance