Ils auraient pu tirer une gueule d'enterrement puisqu'ils venaient parler d'un film intitulé Cadavres. Mais pas du tout. Ils affichaient plutôt le sourire de ceux qui ont concocté un cadavre exquis. Rencontre avec Érik Canuel, Patrick Huard et Julie Le Breton, trinité pas sainte qui n'a pas craint de marcher sur des eaux glauques.

Il est aussi difficile de poser une étiquette sur Cadavres que d'essayer d'en coller une sur Érik Canuel ou sur Patrick Huard. 

Le premier a réalisé une comédie noire (La loi du cochon), une comédie romantique (Nez rouge), un drame (Le dernier tunnel), un film d'époque (Le survenant) et une comédie d'action devenue le plus gros succès commercial du cinéma canadien, Bon cop, bad cop.

Mettant en vedette le second, qui en a coécrit le scénario, qui sait aussi réaliser (Les 3 p'tits cochons), qui joue au grand écran comme au petit (Taxi 0-22), qui produit, qui a des projets plein la tête et l'agenda, et qui s'ennuie quand même de la scène.

«Si j'avais su que c'était ça, avoir 40 ans, j'aurais moins angoissé», pouffe Patrick Huard, qui tient l'un des deux rôles principaux l'autre étant incarné par Julie Le Breton dans ce long métrage qu'Érik Canuel qualifie de «tragicomédie noire, dramatique et drôle, qui nous met le nez dans nos tabous».

Inspiré du roman que François Barcelo a publié en 1998 dans la série noire de Gallimard (aujourd'hui disponible en Folio policier), puis scénarisé par Benoit Guichard (Nitro), Cadavres est aussi «un genre d'histoire d'amour» entre un frère et une soeur, Raymond et Angèle, que la mort «accidentelle» (notez les guillemets) de la mère (Sylvie Boucher) réunit dans la maison... non, le taudis familial.

Lieu qui sera bientôt au croisement de bien des routes. Et fins de route. Y passeront et y resteront peut-être, se faisant ainsi... locataires permanents du sous-sol des punks livreurs de tapis (Marie Brassard et Christopher Heyerdahl), un policier très couleur locale (Christian Bégin), des vendeurs d'une poudre blanche qui n'est ni sucre ni farine (Patrice Robitaille et Hugolin Chevrette), une centaine de cochons (pourquoi pas?) et un producteur de télévision (Gilles Renaud). Parce qu'Angèle est actrice. Une mauvaise actrice. En vedette dans une série policière appelée Cadavres.

«Angèle est une enfant qui n'a pas grandi. Elle s'est construit une carapace qui ressemble à ce qu'elle croit être une femme. Et pour elle, être femme, c'est montrer ses atouts, être chatte, agace. C'est une manière pour elle d'afficher une confiance en elle qu'elle n'a pas, explique Julie Le Breton. C'était très excitant et jouissif à jouer. Je ne pouvais pas m'asseoir sur ma compréhensions des émotions, sur la façon dont moi, je vis et je vois les choses.»

Quant à Raymond, qui a toujours vécu sous le même toit (fuyant) que maman, il est... Non, en fait, il n'est pas. Il n'est rien. «Il est amoureux de sa soeur et quand il a compris qu'il ne pouvait pas vivre cet amour-là, quelque chose s'est brisé en lui. Il a abandonné la vie, il la regarde passer et il attend qu'elle se termine. Ce qui explique son absence totale d'amour-propre.» Et la saleté de son environnement. Et celle de sa personne.

Drôle, tout ça? «Aussi drôle que triste», affirme Érik Canuel qui s'est retrouvé dans ces deux états d'esprit à la lecture du roman, puis à celle du scénario. «Il y a, dans les personnages de Raymond et d'Angèle, un désir profond de retourner à l'enfance... qu'ils n'ont en fait jamais quittée.» Un besoin, croit-il, de retrouver l'innocence d'un temps où ils étaient heureux. Mais collé à des adultes, cet univers enfantin se fait grotesque et malsain.

«Pendant le tournage, il est arrivé qu'on se dise: «Si on fait ça, on va se faire crucifier.» Et... et on s'en câlissait, poursuit-il. C'est un film qui va diviser les gens, certains vont adorer et d'autres vont haïr.» Et ça ne semble pas lui faire un pli. Parce que Cadavres, il devait le réaliser. Pour un tas de raisons.

Entre autres, parce que ce film-là est probablement le plus personnel de ceux qu'il a à son actif. «Prenez tout ce qu'est Érik, ses intérêts, ses goûts, ses paradoxes, brassez ça comme des dés, lancez-les, ramassez-les dans le désordre et... c'est lui.

Cadavres, quelque part, lui ressemble», fait Patrick Huard pour qui le projet était également important: «Le personnage de Raymond est aussi tout croche que touchant et, pour un acteur, c'est l'fun de toucher aux tabous où nous entraîne cette histoire. On savait, au tournage, qu'on était en train de faire quelque chose dont on se souviendrait.

«Je ne dis pas, poursuit-il, que le film est mémorable ou que c'est un chef-d'oeuvre, mais je sais que nous, qui l'avons fait, nous en souviendrons toujours. On a tous, acteurs, réalisateur, techniciens, directeur photo, directeur artistique, etc., dû plonger dans des zones d'ombre pour créer cet univers.»

Bref, ne pas s'attendre à trouver ici un Bon cop, bad cop 2. C'est voulu: «On ne veut pas que les distributeurs, les producteurs, les propriétaires de salle, nous placent dans une case, Érik et moi. On revendique le droit de faire autre chose», conclut Patrick Huard. Avec Cadavres, ils passent de la revendication à la mise en pratique.

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Une soeur, un frère

Patrick Huard est Raymond

«Le personnage est venu avec la préparation physique. Je me suis laissé pousser les cheveux, on les a défrisés et salis. On a travaillé ma barbe pour qu'elle n'ait rien de cool. On m'a noirci les ongles. Puis, j'ai voulu perdre du poids en me disant que Raymond mangeait peu et mal... mais je me suis aperçu que comme ça, j'avais l'air plus en forme. Alors, j'ai regagné les kilos perdus et j'en ai pris cinq de plus. Juste assez pour que de l'extérieur, il soit à l'image du rien qu'il est à l'intérieur.»

Quant aux cernes qui se creusaient sous ses yeux au fil de la fatigue du tournage, ils n'ont pas été cachés. Résultat: «Quand je sortais avec des amis, j'avais beau mettre une casquette, il y a des gens qui disaient: Il ne va pas bien, Huard. Pas bien du tout. Sûr que six semaines de ça, ça affecte le moral.» Mais pas assez pour regretter l'expérience.

Julie Le Breton est Angèle

«J'ai lu le scénario et j'ai eu un coup de foudre pour cette histoire qui ne ressemble à rien de ce à quoi nous sommes habitués. J'ai aussi aimé Angèle, je l'ai sentie, comprise, même si elle est loin de ce que je suis. J'ai donc passé une audition.» Et elle s'est retrouvée pendant six semaines sur ce plateau «où, à cause des éclairages, des décors, du propos, il y avait quelque chose d'écrasant» mais où, en même temps, il y a eu beaucoup de rires. Hors caméra, s'entend. «Marie Brassard, par moments, c'était Passe-Partout sur l'acide!» Là où elle a moins ri, c'est quand une centaine de cochons ont envahi les lieux. Patrick Huard non plus, n'a pas apprécié. Pour la première, le tournage a duré une journée. Pour le second, deux ou trois heures. Pour Érik Canuel: une demi-heure. Il faut dire que lui, perché à l'étage, a trouvé le moment très, très drôle.

Cadavres ouvre les 27es Rendez-vous du cinéma québécois, le 18 février, et prend l'affiche le 20 février.