Anne Fontaine et Fabrice Luchini se connaissent depuis si longtemps qu'il était normal qu'elle lui écrive un film sur mesure. Les mesures de La fille de Monaco n'ont toutefois pas été prises avec le même galon.

Il est parfois intéressant de mener des interviews «croisées». Anne Fontaine était à Toronto, il y a quelques mois, pour accompagner la présentation de son plus récent film au festival torontois.

De son côté, Fabrice Luchini était chez lui, à Paris, il y a quelques semaines à peine pour accueillir la presse internationale dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d'Unifrance.

Leurs visions respectives de La fille de Monaco concordent. Leurs souvenirs de la genèse du projet aussi. Mais il a y a des nuances à apporter, selon la position qu'on occupe et les fantasmes qu'on y a mis.

L'acteur et la réalisatrice se connaissent depuis l'époque où il lui a demandé de jeter un regard de metteur en scène sur un spectacle consacré au Voyage au bout de la nuit de Céline. «Nous avons toujours maintenu le contact depuis, explique Luchini. Nous trouvions franchement ridicule de n'avoir rien fait ensemble au cinéma encore. C'est lors d'un dîner dans un restaurant japonais que j'ai lancé cette idée d'un film à la Truffaut, dans lequel le personnage aurait l'occasion de parler des femmes, de la séduction, enfin, de ce genre de choses...»

L'idée a germé dans la tête de la réalisatrice de Nettoyage à sec, mais autrement. «J'ai d'abord vu un couple d'hommes dont les rapports sont avant tout régis par une dynamique professionnelle, explique-t-elle. La complicité entre Fabrice et Roschdy Zem est magnifique à cet égard. J'ai ensuite vu cette fille qui va tout faire exploser. Et puis j'ai vu Monaco. Je trouvais assez jouissive l'idée de faire péter les plombs à Fabrice dans un si beau décor!»

Anne Fontaine écrit alors un scénario spécifiquement pour Luchini. Ce dernier le lit. Il garde le silence pendant trois jours...

«Elle a complètement transformé l'idée que je lui avais lancée! commente l'acteur. Il n'y avait là-dedans rien de ce dont on s'était parlé. Je voulais un film du genre de L'homme qui aimait les femmes et elle m'arrive avec un truc qui n'a plus rien à voir. Alors je lui ai dit que je n'allais pas le faire.»

La réalisatrice ne s'est quand même pas trop démontée. Connaissant bien son ami, elle s'attendait même à ce qu'il réagisse de la sorte.

«Fabrice s'imaginait probablement que j'allais le magnifier dans un film où toutes les nanas tomberaient éperdument amoureuses de lui! commente-t-elle. Je préfère les choses un peu plus compliquées. Cela dit, il s'est rebuté au point où je me suis carrément mise à chercher un autre acteur. Dans un tel cas de figure, je me dois d'envisager une solution de rechange. Oui, j'ai écrit spécifiquement pour Fabrice, mais à partir du moment où il me dit qu'il ne veut pas le faire, je ne vais quand même pas jeter mon scénario au panier!»

Deux mois passent. Anne Fontaine rencontre tout ce que la France compte de jeunes actrices prometteuses pour incarner la fameuse «fille de Monaco». Elle décide d'abandonner l'idée d'un «casting» traditionnel. Louise Bourgoin, présentatrice météo sur Canal ", arrive dans le décor. C'est finalement à elle qu'on doit la volte-face de Luchini.

«Quand j'ai appris que Louise avait décroché le rôle, là j'ai commencé à réfléchir, laisse tomber l'acteur. Avec elle, la jeune femme dans cette histoire devenait plus crédible parce qu'elle pouvait vraiment provoquer la folie. On comprend cet homme de devenir complètement abruti.»

«En fait, explique à son tour Anne Fontaine, j'ai téléphoné à Fabrice pour lui annoncer que Louise allait incarner la fille. Je lui ai aussi dit que je trouvais ça idiot qu'il ne soit pas de la partie parce que le scénario a quand même été écrit pour lui. Il m'est revenu le soir même!»

La réalisatrice, qui a la réputation de tirer des performances très profondes chez les acteurs masculins à qui elle fait appel (Benoît Poelvoorde a été marqué par le tournage d'Entre ses mains), a vite tenu à «contenir» la bête Luchini.

«Si on ne le contrôle pas, Fabrice peut devenir narcissique, explique-t-elle. Il faut beaucoup le surveiller. Je préfère de loin tempérer un acteur qui, comme lui, est doté d'une forte personnalité, plutôt que le contraire. Je n'aime pas le beige! Et puis je trouve qu'en vieillissant, Fabrice affiche une fragilité qu'il ne montrait pas auparavant. Il s'abandonne davantage.»

«Il est en tout cas clair qu'Anne voulait faire quelque chose de plus profond que ce que nous avions établi au départ, conclut l'acteur. Ce n'est pas à moi de juger, car je reste assez détaché des films dans lesquels je joue. Au cinéma, un acteur n'est qu'un instrument au service de la musique d'un autre.»

La fille de Monaco est présentement à l'affiche. Une partie des frais de voyage ont été payés par Unifrance.