Patrick Huard est un comédien qui aime se mettre en péril, surprendre, arriver là où personne ne l'attend. Avec Cadavres, il offre à son public de quoi s'étonner, alors qu'il incarne, devant la caméra de son ami et complice Érik Canuel, un personnage affreux, sale et (pas trop) méchant, sorti tout droit d'un film d'Ettore Scola.

«Disons que j'avais hâte de me couper les cheveux...», laisse-t-il tomber en entrevue au Soleil, en référence à son look Bougon extrême dont il s'est débarrassé avec plaisir à l'issue du tournage.

Même s'il n'avait pas lu le roman de François Barcelo, dont s'inspire le film (en salle la semaine prochaine), Huard n'a pas hésité une seule seconde à suivre Canuel jusqu'au bout dans cette «comédie noir foncé», qui constitue leur troisième collaboration après Nez rouge et Bon Cop, Bad Cop, plus grand succès du cinéma québécois et canadien.

Qu'importe que Cadavres soit trash à souhait et que son personnage, Raymond Marchildon, soit dépressif, fainéant, sale, alcoolique, pas très allumé. Et de surcroît, amoureux de... sa soeur Angèle (Julie Le Breton), une actrice ratée d'un moche feuilleton ringard, de retour à la maison familiale après la mort de leur mère.

Au gré de visites impromptues d'une galerie de personnages et d'une série d'imbroglios, les cadavres finiront par s'accumuler au sous-sol de la demeure...

Pas une bête dégueulasse...

«Ce n'est pas mon univers naturel, disons, mais Érik m'a convaincu, surtout qu'il s'agit selon moi de son film le plus personnel», explique le nouveau quadragénaire (depuis le mois dernier). «Érik avait une vision claire du film dans sa tête, il le voyait très bien. Ç'a m'a sécurisé (...). Je vois le film comme une portion musicale. Érik est le directeur musical, et moi, un clarinettiste.»

Son personnage de paumé, Patrick Huard en parle en termes peu élogieux, mais paradoxalement empreints d'attachement. «Je n'ai pas cherché à en faire une bête dégueulasse. C'est quelqu'un qui a abandonné la vie, mais qui n'a pas pour autant envie de se suicider. Il attend que ça passe et vire une brosse pour que ça passe plus vite. C'est dur d'être insignifiant dans la vie...»

À travers les personnages déjantés qui débarquent dans sa morne existence ? un couple de punks amoureux (Christopher Heyerdahl et Marie Brassard), un enquêteur pas très allumé (Christian Bégin), deux petits caïds du coin (Patrice Robitaille et Hugolin Chevrette) et un producteur télé dandy (Gilles Renaud) ? Raymond essaiera tant bien que mal de cacher l'amour et la passion qu'il nourrit pour sa frangine.

«Dans son code moral tordu, sa soeur est la seule affaire qui soit demeurée pure, c'est la représentation de ses souvenirs d'enfance. En revenant dans le décor, Angèle lui permet de renaître, de penser que la vie peut être encore le fun. C'est là que se cache le vrai drame du film.»

Expérience weird

Avec le téléthéâtre en huis clos Les guerriers, avec Dan Bigras, le tournage de Cadavres a sans doute été l'expérience la plus weird de la carrière de Patrick Huard.

«Malgré son côté glauque, j'ai quand même eu du plaisir à le faire, surtout avec Érik, un réalisateur extrêmement stimulant, avec un talent énorme. Ce n'est pas pour rien qu'il est courtisé pour faire des films aux États-Unis. Il a réussi à faire Bon Cop, Bad Cop avec le budget de la bouffe d'une production américaine...»

Cadavres n'a rien de la petite comédie gentille susceptible de rallier tous les publics. Patrick Huard en est conscient plus qu'aucun autre. Aussi croit-il essentiel que le spectateur en arrive à «se placer dans un décorum où il ne se jugera pas lui-même par rapport à ses propres réactions. Une fois que tu te laisses aller, t'es capable d'avoir du fun».