Après Malcolm X, Spike Lee veut maintenant tourner un film sur trois autres personnages historiques: Jackie Robinson, Joe Louis et James Brown. Il attend seulement de trouver le financement nécessaire. Mais il ne songe pas à réaliser un film ou un documentaire sur le nouveau président américain.

«Tout le monde et sa mère le fait en ce moment. Et puis, je n'ai pas eu l'accès nécessaire», racontait le cinéaste hier, de passage à l'Université Concordia pour donner une conférence dans le cadre du mois de l'histoire des Noirs.

Pendant environ une heure, il a motivé son auditoire, notamment en insistant sur l'importance de valoriser l'éducation dans la communauté noire. Car beaucoup de travail reste à faire, croit-il. «Je souris encore quand je vois Barack à la télé. Je n'ai pas encore ressenti le réel impact de son élection. C'était une chose révolutionnaire. (...) Mais ne croyez pas à cette foutaise sur l'arrivée d'une ère postraciale, peu importe ce que cela signifie.»

La conférence, en anglais, s'intéressait avant tout au cas américain. «On y trouve encore plus de Noirs dans les prisons que dans les universités», déplore Lee, qui blâme en partie la dévalorisation de l'éducation dans sa communauté. «C'est le fléau du Acting White. Quand un Noir réussit, on l'accuse d'agir comme un Blanc. La réussite scolaire est ainsi sanctionnée socialement» (NDLR: Le phénomène américain est documenté par Roland Fryer, économiste de Harvard révélé par l'essai Freakonomics).

«Si tu parles un bon anglais et que tu obtiens de bonnes notes, on t'ostracise, déplore Spike Lee. On te traite de vendu, d'Oreo. Mais si tu fumes un gros joint, si tu bois un 40 onces en tâtant tes couilles et en criant Bitch!, t'es un gangsta, un vrai. Ce que ces gens oublient, c'est qu'ils restent des putains d'ignorants.»

Lorsque Lee habitait à Brooklyn, la réussite scolaire était perçue positivement. La chose aurait changé avec l'épidémie de crack, soutient le réalisateur de 51 ans. Il blâme aussi une certaine mouvance hip-hop. Cela constitue à ses yeux une trahison «criminelle» des générations précédentes.

«Durant l'esclavage, si on te surprenait à lire ou à enseigner, on te fouettait, castrait ou pendait. Les mauvais jours, on faisait les trois en même temps. Malgré tout, des esclaves risquaient leur vie.

«L'éducation était la clé de leur libération, ils le savaient. Alors pourquoi l'abandonne-t-on aujourd'hui?»

L'éducation importe beaucoup dans la démarche de Spike Lee. En 1977, il découvrait sa vocation en filmant la «richesse de l'expérience afro-américaine», celle qu'il voyait de sa fenêtre à Brooklyn, mais pas à la télé ou au cinéma.

Le travail n'est pas terminé, estime celui qui enseigne aujourd'hui à la New York University.

«À part quelques exceptions comme Denzel (Washington) et Will (Smith), les acteurs noirs sont confinés à des rôles stéréotypés - des comiques ou des voyous. C'est encore pire pour les filles. Faut que ça change.»

D'autres films

Le plus récent film de Spike Lee, Miracle at St. Anna, qui vient de sortir en format DVD, traite de la contribution des Noirs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Mais le réalisateur se défend bien d'avoir voulu faire une oeuvre historique.

Le film raconte les mésaventures de quatre soldats d'une division d'infanterie de l'armée entièrement composée d'Afro-Américains, les «Buffalo Soldiers», qui avaient été coincés derrière les lignes allemandes en Italie en 1944 après avoir sauvé la vie d'un garçon terrorisé.

Au-delà de l'anecdote historique, le film se penche sur la vie de ces soldats noirs enrôlés dans une armée qui pratiquait encore la ségrégation - il faudra attendre la guerre de Corée, plus de cinq ans plus tard, pour voir des unités «intégrées».

On avait certes déjà vu des soldats afro-américains dans le film Glory, qui se déroulait pendant la guerrede Sécession, mais bien peu dans des films qui se passent durant la Deuxième Guerre.

Miracle at St. Anna n'a pas eu un grand succès au box-office, et même le réalisateur admet que les spectateurs le découvriront davantage en DVD. Certains critiques ont aimé le film, d'autres beaucoup moins. Mais Spike Lee se fend d'un grand sourire lorsqu'il raconte que le film a été très bien accueilli par des vétérans de la 92e division et d'autres soldats afro-américains, anciens ou actuels.

Le réalisateur souhaite revisiter cette période de l'Histoire dans un film tiré du roman Now the Hell Will Start, qui raconte l'histoire d'un soldat noir qui tue son lieutenant avant de s'enfuir dans la jungle birmane. «Nous allons commencer le travail de scénarisation, en espérant obtenir du financement.»