Publié sous la forme de 12 fascicules, édités entre 1986 et 1987 par DC Comics, Watchmen s'impose tout de suite comme une oeuvre graphique magistrale, signée par deux maîtres de la bande dessinée contemporaine, Alan Moore pour le texte et Dave Gibbons pour les dessins.

Entre roman psychologique et politique, analyse sociologique et métaphysique, les personnages et l'intrigue y servent un propos extrêmement noir et désabusé sur la nature humaine, avec des superhéros fragiles et faillibles, obsédés, névrosés, assaillis de défauts et de doutes.

Profondément philosophique et complexe, Watchmen est porté aux nues par les critiques. Et pendant très longtemps, cette bande dessinée à double intrigue, fondée sur le principe du flashback et du compte à rebours, est classée comme une oeuvre à part, impossible à adapter au cinéma.

Le projet cinématographique a démarré avec Terry Gilliam (Les frères Grimm), avant de passer entre les mains de Darren Aronofsky (Requiem for a Dream, The Wrestler), puis celles de Paul Greengrass (la saga Jason Bourne). Tous ont jeté l'éponge pour travailler sur d'autres projets. Finalement, c'est Zach Synder (Dawn of the Dead, 300) qui est l'élu.

??la fois brillant et bavard, fulgurant et poussif, le film Watchmen (qui sort vendredi dans les salles) témoigne de la difficulté de mener à bien cette tâche colossale.

New York, 1985. Nous sommes dans une «autre» Amérique: un monde habité par la peur et la paranoïa. Les États-Unis ont remporté la guerre du Vietnam grâce aux superhéros. Le président Nixon entame son cinquième mandat. La guerre froide avec l'URSS bat son plein, avec le risque permanent d'une explosion nucléaire. Les superhéros masqués font partie de la vie quotidienne et l'Horloge de l'Apocalypse - symbole de la tension entre les États-Unis et l'URSS - indique en permanence minuit moins cinq.

Après l'assassinat d'un ancien collègue, le Comédien (Jeffrey Dean Morgan), Rorschach (Jackie Earle Haley), justicier masqué misanthrope et paranoïaque, cherche à trouver le ou les coupables du crime. Sur quelques indices, il comprend que les meurtriers risquent de menacer la vie et la réputation de tous les superhéros du passé et du présent.

Alors, il reprend contact avec son ancienne équipe, à commencer par le Hibou (Dan Dreiberg) et Spectre Soyeux (Malin Akerman). Ensemble, ils formaient un groupe hétéroclite de superhéros, même si un seul d'entre eux, Dr Manhattan (Billy Crudup), possède de véritables pouvoirs. Le Hibou a pris sa retraite. Dr Manhattan, à l'origine de la victoire des GI au Vietnam, travaille pour le gouvernement, aux côtés d'Ozymandias (Matthew Goode).

Peu à peu, Rorschach, aidé par le Hibou et Spectre Soyeux, met à jour un complot de grande envergure lié à leur passé commun. Un complot qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour l'avenir de la planète. La mission des Gardiens est de protéger l'humanité... Mais lorsqu'ils agiront, qui veillera sur eux? Qui leur demandera des comptes? Comme la BD éponyme, le film Watchmen offre une vision puissante, celle de superhéros déconstruits, dans un monde déboussolé.

Mais malgré ses prouesses techniques, la justesse de son casting, et sa volonté de rester fidèle à l'oeuvre originelle, Zach Synder se retrouve confronté à un dilemme: comment compresser en deux heures un récit fleuve, dense et d'une rare complexité, avec des va-et-vient récurrents sur 40 ans d'histoire, entre l'Amérique de 1939-40 et celle de 1985?

Là où le réalisateur réussit en termes de mise en scène, d'effets spéciaux et d'atmosphère, les scénaristes, Alex Tse et David Hayter (X-Men 2 et X-Men 3) échouent en beauté: le film s'étale en longueur (2 h 43). «Je ne peux décemment pas dire que c'est un film court», reconnaît le cinéaste. «Mais c'est la version la plus condensée que je peux offrir aux fans sans avoir l'impression de l'avoir trahie.»

Les fans de Watchmen sauront certainement y trouver leur compte, les néophytes également, tant l'univers de la BD d'Alan Moore est différent de ce qu'ils connaissent des superhéros «traditionnels». Mais dans un récit sur des héros à la retraite, davantage dans la réflexion et la contemplation que dans l'action, certaines séquences - notamment les plus métaphysiques avec Dr Manhattan - restent éthérées, pour ne pas dire soporifiques.

Bref, c'est avec ces personnages évoluant en zone grise, entre le Bien et le Mal, que Zach Synder s'approche le plus de l'essence même de Watchmen. Un scénario moins bavard, plus découpé et surtout davantage rythmé aurait rendu son oeuvre inoubliable. Tel quel, Watchmen court le même risque que toute autre adaptation mitigée: décevoir les uns, et agir en repoussoir pour les autres.