Les versions originales anglaises dans les salles de cinéma de Québec sont-elles en voie de disparition? Le cinéphile d'ici est-il condamné à attendre la sortie d'un film en dvd s'il ne veut pas se voir imposer un Clint Eastwood ou un Leonardo DiCaprio parlant français?

Le sujet avait été abordé dans cette chronique, il y a un an et demi, dans la foulée de la fermeture du complexe StarCité. À cette époque pas si lointaine, concurrence oblige avec l'ex-voisin Cinéplex Odéon, le public se voyait presque toujours offrir les versions originales anglaises et doublées d'une production américaine. C'était l'époque d'abondance, du libre choix, le «bon vieux temps» quoi. La disparition du StarCité a sonné la fin de cette offre privilégiée. Deux films américains sur trois qui ont pris l'affiche dans l'année suivante à Québec l'ont été seulement dans leur version doublée.

On ne le savait pas encore, mais le pire restait à venir.

Depuis le début de l'année, 23 productions anglaises ont pris l'affiche à Québec. Petite devinette : combien l'ont été dans leur version originale (en excluant trois films présentés au Clap avec sous-titres)? Seulement deux : Friday the 13th et Watchmen, la fin de semaine dernière. Pour des films majeurs comme Slumdog Millionaire ou Revolutionary Road, il a fallu se rabattre sur la version doublée.

 

Friday the 13th et Watchmen, vous avez bien lu. C'est vrai que tant qu'à voir du monde se faire zigouiller ou décapiter, quelqu'un quelque part a cru qu'il serait bien que le public de Québec puisse assister à la scène dans les deux langues officielles. Tout le monde sait qu'il y a un monde entre un Aaaaaaaaah! en anglais et un Aaaaaaaaah! en français...

La prolifération des versions doublées sur les écrans de Québec entraîne dans son sillage son lot d'incongruités. Ainsi, le thriller d'action Taken (L'enlèvement) a beau avoir été tourné à Paris (et produit par Luc Besson), le public doit subir des acteurs français doublés en... français puisque parlant anglais dans la version originale.

Dans The Pink Panther 2 (La panthère rose 2), présenté à Québec uniquement en version doublée, avec un Steve Martin incarnant le célèbre inspecteur parisien Clouseau, on ne vous dit pas le nombre de gags ratés en raison de l'imbroglio linguistique. Atroce. Il y a des films qui doivent être vus seulement dans leur version originale. The Pink Panther 2 en est un.

La quasi-disparition des versions originales anglaises à Québec relève d'une logique marchande. Qu'on le veuille ou non, la copie anglaise d'un film américain sera toujours plus rentable à Montréal qu'à Québec. Simple question de profil linguistique et démographique.

Passe toujours pour des films mineurs, mais que des productions à Oscars comme Slumdog Millionaire, The Curious Case of Benjamin Button, Doubt et The Wrestler ne puissent être vues dans leur langue d'origine par le public de Québec tient de l'aberration pure et simple, voire du mépris.

Il serait temps que les programmateurs de Montréal et de Toronto s'éveillent à la nouvelle réalité de la capitale. La jeune génération de cinéphiles, de plus en plus bilingues et ouverts sur le monde, veut du vrai, juste du vrai, pas d'acteurs américains qui parlent comme un personnage de téléroman et de film vidé de son âme par le doublage.

La seule solution pour la clientèle exaspérée - de plus en plus nombreuse, à en juger par les courriels reçus - demeure la sortie du film en dvd, ce qui signifie quelques mois d'attente. Pour un exploitant de salles, avouons que ça ne fait pas des enfants forts...

Reste toujours la solution du film original présenté avec sous-titres français, notre préférée, comme le fait toujours le Cartier et assez souvent Le Clap. Comme dans les festivals, c'est ainsi que tous les films étrangers devraient être projetés. Sauf qu'une large partie du public demeure rébarbative aux sous-titres. On ne va pas au cinéma pour lire, trop exigeant, on perd le fil de l'histoire, clame-t-on. Sans oublier tous les comédiens gagnant leur vie avec le doublage (et qui font un excellent travail) et qui ne verraient pas cette pratique d'un bon oeil.

Le monde idéal n'existe pas, que ce soit dans la vraie vie ou au cinéma. Sauf que le cinéphile de Québec ne demande pas la lune, seulement de ne pas avoir à prendre la 20 pour voir un film américain majeur dans sa version originale. Accéder à cette simple demande serait un geste de respect de la part des programmateurs.

«Putain de cinoche de mes baloches», comme le dit Jack Black dans Tropic Thunder. La version doublée, bien entendu.