S'il n'y avait pas eu Dédé Fortin et ses Colocs dans les années 1990, y aurait-il eu un Loco Locass dans la décennie qui a suivi? Jean-Philippe Duval, réalisateur du film Dédé à travers les brumes, et Sébastien Ricard, interprète du rôle-titre et également le Batlam des Locass, en doutent.

«Ces gars-là ont mis la table pour toute une génération de groupes comme les Cowboys fringants et nous», dit Sébastien Ricard. «La filiation est très claire. À l'époque, il fallait être courageux et audacieux pour se remettre à la chanson à texte, choisir la langue populaire (un geste politique, quant à moi) et faire danser le monde là-dessus.»

Tel est un des héritages que laisse André Fortin. L'autre, selon le réalisateur, est «d'être allé au bout de ses convictions, d'être resté intègre et authentique, d'avoir eu sa propre opinion plutôt que de se rallier à celle qui domine».

«Dédé a apporté un souffle nouveau. Il mélangeait dans sa musique des influences manouches, africaines, françaises, rock, zydeco... Il n'avait pas peur de ses influences américaines, mais il chantait en français et exprimait ce qui se passait chez nous. Dans les Colocs, il y a eu un Canadien anglais, un Français, deux Sénégalais», résume Jean-Philippe Duval.

 

«Je n'ai pas suivi les Colocs de près à l'époque, mais la mort de Dédé m'avait causé un choc, renchérit Sébastien Ricard. Je savais que nous avions perdu un gros morceau (un signe, pour moi, que ce type et son groupe avaient pénétré l'inconscient collectif). J'ai compris pourquoi en faisant le travail de préparation au rôle.»

Travail de longue haleine, d'abord pour Jean-Philippe, qui a mené trois ans de recherches, et Sébastien, qui lui a donné 18 mois. Les deux savaient qu'ils manipulaient une matière délicate, à cause de la mort récente de Dédé, mais ont réussi à faire abstraction de la pression environnante. Il a d'ailleurs été vite décidé qu'on n'utiliserait pas la voix originale du chanteur. «Ç'aurait été trop étrange, sa voix sur ma face. J'ai essayé de m'approprier sa façon de chanter, sans trop lui ressembler, mais en gardant les particularités. Des chansons comme Juste une p'tite nuite ou Dehors novembre nous montrent que Dédé peut tout faire passer dans sa voix. C'est très riche.»

Cet élément d'interprétation a convaincu Sébastien Ricard de la pertinence de l'album. «J'avais été clair: faire André Fortin en dehors du film, non. Je ne voulais pas mêler les cartes, frôler l'imposture. J'avais donc dit que je ne ferais aucune émission de variétés.»

De plein gré, a fait exception pour Star Académie. Sa décision n'a rien à voir avec le distributeur du long métrage, TVA Films.

«On m'a demandé mon avis. Je n'aimais pas beaucoup le cadre de cette émission. Mais je ne suis pas le seul dans cette aventure: il y a le producteur, le réalisateur... Ce qui a fini de me persuader, c'est que Dédé n'hésitait pas à utiliser toutes les tribunes. Finalement, j'ai fait un Michel Rivard de moi et j'ai trouvé l'expérience pas si mal. Julie Snyder est une fille brillante, les académiciens sont épatants. Je suis sorti de là étonné, avec un autre point de vue.» Jean-Philippe Duval a été très prudent avec la scène de suicide de Dédé, dans laquelle il suggère le geste fatal. «Il fallait la mettre, parce qu'il y a des gens qui ne savent pas comment il est mort [il s'est fait hara-kiri]. Mais je n'ai pas voulu glorifier ni expliquer son geste. Dédé était différent, il a posé un geste différent. Le reste lui appartient. Ce qui importait, c'était le moment d'émotion, où nous perdons un grand poète.»