Dans Suzie, Micheline Lanctôt met en scène les errances solitaires d'un couple déchiré par leur enfant, et une chauffeuse de taxi qui joue au poker pour ne pas pleurer sa fille. Tourné il y a deux ans, pris dans la tourmente de Christal Films, Suzie sort enfin, pour le plus grand plaisir de sa réalisatrice et interprète principale.

Tout sourire, Micheline Lanctôt se réjouit au début de notre entrevue: «J'aime beaucoup mon film; j'avais hâte que les gens le voient.» Loin de son enthousiasme, la réalisatrice s'est taillé un rôle de composition: Suzie, une femme qui, pour échapper aux larmes et au poker, épouse, dans son taxi, la solitude nocturne des Montréalais.

«Le personnage de Suzie est venu comme ça, de je ne sais où», dit Micheline Lanctôt. Suzie a perdu sa fille, enlevée par son père il y a 20 ans. Le soir de l'Halloween, elle trouve un enfant dans sa voiture, accompagné d'un mot et d'une adresse. Commence alors un va-et-vient entre les deux parents, séparés, chacun poussé à bout par l'autisme de leur fils.

Comme l'enfant, Suzie choisit le silence. «Ils sont mutiques. L'autisme n'est pas utilisé comme une maladie clinique, mais comme une métaphore, celle de la peur du monde. Il y a un repli sur soi, qui fait que Suzie va commettre certains actes dans son désarroi.»

L'un de ses films, Le piège d'Issoudun, abordait un sujet d'une égale gravité, le suicide d'une femme, à qui tout semblait sourire, après le meurtre de ses propres enfants. Comme dans Suzie, Micheline Lanctôt se fait l'écho d'un fait de société: le peu d'attention accordé aux enfants dans la société québécoise.

Difficile d'être parent


«Je crois que ce sont des choses que toutes les mères pensent et peu disent. C'est une réalité de la vie moderne: c'est difficile d'élever un enfant. On a la notion d'être parfait partout», dit-elle. Pour donner une écoute, Micheline Lanctôt s'est fait la porte-parole d'une association, Premier pas, qui fait du jumelage entre parents.

«Je trouve ça fabuleux. Quand on est pris dans une situation parentale difficile, il n'y a plus d'écoute. L'écoute peut faire parfois la différence. On a des conditions de vie de famille qui sont sauvages, il n'y a pas de politique familiale articulée», dénonce-t-elle, en référence aux récents infanticides qui ont défrayé la chronique au Québec. «Je me dis que, peut-être, Le piège d'Issoudun devrait ressortir.»

Micheline Lanctôt espère bien sûr que Suzie sera vu, mais dit constater que ses films «ne trouvent pas beaucoup d'écho, et c'est dommage». Suzie fera peut-être exception à la règle, même s'il a été tourné avec le budget minceur d'un film indépendant. «On a eu une équipe fabuleuse, on a tourné en HD, low light. C'était risqué», dit-elle.

Micheline Lanctôt ne connaît que trop bien le système de financement du cinéma québécois. Suzie est un projet mené en parallèle d'un film plus ambitieux, refusé par les institutions, un conte sur l'immortalité dans lequel elle mettait en scène des personnages de fiction soumis au bon vouloir d'un auteur, elle-même.

«Je me suis fait dire que c'était narcissique: comme si j'étais la seule à faire ça dans le métier. Un jour, peut-être, j'essaierai», dit-elle. Elle mène toujours plusieurs projets de front et estime que les réalisateurs partagent tous une situation aléatoire. «C'est un peu comme le Loft: il faut se battre, sinon on se fait éjecter», dit-elle.

Si elle montre du doigt la difficulté de tourner au Québec, Micheline Lanctôt précise que l'adversité ne l'a pas rendue aigrie. «J'ai accepté de travailler pour des petites productions. J'ai acheté ma liberté à prix fort: j'ai fait quatre films en six ans, dans des conditions difficiles. Je fais les concessions qu'il faut», clame-t-elle.

C'est aussi ce qui fait sa qualité, estime de son côté Pascale Bussières: «Dans Deux actrices (1993), on a tourné dans mon appartement, en équipe réduite. Cela correspond à Micheline: elle fait du cinéma de guérilla, et ça lui va bien.»