Aller au cinéma était autrefois un rite social et familial pour les Syriens. Aujourd'hui, ils boudent les salles obscures, rebutés par la mauvaise qualité des films et séduits par les DVD piratés.

Un effort a bien été fait avec l'inauguration, mercredi soir, dans un centre commercial de Damas, de CinémaCity, un ancien cinéma modernisé et divisé en salle à deux écrans dans le cadre d'un complexe comprenant aussi deux restaurants et une librairie.

«C'est une tentative pour attirer le public», déclare à l'AFP le cinéaste Omar Amiralay.

Mais il en faudrait plus pour inverser la tendance.

Dans les années 1960 et 1970 «le cinéma faisait partie de notre quotidien. Aujourd'hui, les gens n'y vont plus», affirme Ibrahim Nejmé, propriétaire de deux vieilles salles à Damas, as-Soufara et al-Khayyam qui présentent des films d'action bas de gamme.

Un système financier arbitraire (forte taxation sur les salles de cinéma associée à des tarifs d'entrée bas) a nui à la qualité des films programmés et à l'état des salles et du matériel.

Et la main mise de l'État sur les ressources économiques et culturelles du pays a eu un effet dévastateur. De 1970 à 2001, l'Organisme national du cinéma (ONC, étatique) «s'est octroyé le monopole de l'importation de films», explique M. Amiralay.

Mais l'ONC, dont l'objectif initial était de promouvoir le cinéma d'art, «a fini par faire la promotion de films commerciaux» pour des raisons financières, ajoute le cinéaste qui parle d'«effondrement de la culture».

Le nombre de salles est tombé de 158 en 1964 à 36 dans un pays de 22 millions d'habitants. La plupart, mal entretenues, sont fréquentées par des hommes en quête de sensations fortes que leur fournissent des productions égyptiennes et asiatiques de mauvaise qualité.

«En 1975, Lattaquié, sur la Méditerranée, comptait à elle seule sept cinémas et il y en avait même dans les villages environnants», se souvient l'acteur et cinéaste Abed Fahd, originaire de cette ville portuaire de plus d'un million d'habitants. Aujourd'hui, une unique salle, affiliée à l'ONC, est ouverte.

Depuis plus de quatre décennies, aucune nouvelle salle n'a été construite, hormis en 1985 le Cinéma Cham dans la capitale, qui n'en compte qu'une dizaine pour quatre millions d'habitants.

La chute de l'affluence interdit aux professionnels d'investir dans ce secteur qui «accuse des pertes», relève Firas Ibrahim, acteur, metteur en scène et producteur notamment d'une célèbre série télévisée, Asmahane.

Enfant, il allait au cinéma avec son père à Messiaf, petite ville de l'ouest de Syrie. Mais la salle qui autrefois accueillait des stars du monde arabe «a été transformée en un moulin à céréales», déplore-t-il.

Firas Ibrahim voudrait bien produire des films, mais «l'infrastructure cinématographique n'existe pas en Syrie», dit-il.

Programmé récemment au «Cham», The Dark Knight, récompensé aux Oscars 2009, a été boudé par le public syrien. «Il n'a pas couvert les frais de publicité», déplore de son côté M. Nejmé.

Les gens se tournent vers les DVD piratés qui inondent le marché, se plaint-il.

«Pourquoi payerais-je quatre dollars pour aller voir un film alors que je peux en obtenir une copie à 30 cents et la regarder dans mon fauteuil», dit Bassam. Ce chauffeur de 40 ans est allé au cinéma pour la dernière fois il y a... quinze ans, avec des copains.

Les cinéastes syriens sont considérés comme faisant partie des plus créatifs du monde arabe. Les plus connus comme Omar Amiralay, Mohammad Malass, Oussama Mohammad, Abdel Latif Abdel Hamid, ou Nabil Maleh sont régulièrement primés dans les festivals mais leurs oeuvres sont peu projetées en Syrie.