Rarement la Suède a-t-elle accouché, sur les écrans du monde, de superproductions. Millénium, l’adaptation au cinéma du premier volet de la trilogie-culte de Stieg Larsson, pourrait changer la donne. Après la Scandinavie et l’Europe, le film débarque au Québec. En attendant, peut-être, l’ultime conquête: le marché américain.


Après les livres-cultes, le film. Le thriller sombre de Stieg Larsson débarque au Québec, porté par des chiffres à faire fantasmer Hollywood: avec 10 millions de livres vendus dans le monde, il a réuni 2 millions de spectateurs en Scandinavie, sans oublier l’Europe et la distribution «un peu partout dans le monde». Et ce avant la sortie, l’automne prochain, des deux films suivants.


«Je savais qu’il avait de bonnes chances de connaître une bonne sortie en Scandinavie mais de là à ce que ce soit un tel succès, c’est une surprise !» admet Niels Arden Oplev, réalisateur de Millénium. Signe de la bonne marche des opérations, c’est à New York que l’on a appelé le réalisateur danois, qui pourrait tourner bientôt son premier long métrage en anglais.


Plus que l’aura autour de la naissance de Millénium – son auteur est mort peu après avoir déposé ses manuscrits chez son éditeur –, la trilogie s’est imposée avec des thèmes qui auraient pu paraître rebutants: la corruption du monde de la finance, le passé nazi des élites, mais surtout la violence sexuelle dont les Suédoises sont victimes. «C’est la raison pour laquelle le film a aussi bien marché en Suède», croit Niels Arden Oplev.


Une héroïne tout en muscles
La trilogie débute avec la condamnation, pour diffamation, d’un journaliste d’enquête de renom et fondateur de la revue Millénium, Mikael Blomkvist (Michael Nyqvist). Humilié, celui-ci se retire de la publication et accepte la proposition originale d’un riche industriel: enquêter sur la disparition de sa nièce adorée. Chemin faisant, Blomkvist fera équipe avec Lisbeth Salander (Noomi Rapace), hackeuse de talent et gothique asociale.


«Lisbeth est la petite soeur de Nikita, explique Niels Arden Oplev. C’est l’héroïne inhabituelle. Dans la version de Larsson, elle refuse d’être une victime, quoi qu’il lui arrive. Qu’elle se fasse battre ou violer, elle reviendra toujours se venger.» Adieu blonde charnue, faire-valoir indispensable du héros masculin: dans Millénium, Lisbeth a un physique tout en muscles, caché sous des pulls à capuche, et affiche moult piercings et tatouages.


Pour interpréter la jeune femme mutique, et androgyne, Niels Arden Oplev a choisi une jeune inconnue, Noomi Rapace. La comédienne n’a pas hésité à perdre du poids, à s’entraîner à la boxe et à piloter une moto pour devenir l’une des héroïnes populaires de la Suède. De la Lisbeth du livre, Rapace a gardé les silences. «L’intérêt d’avoir une bonne actrice, c’est aussi de montrer la vie intérieure d’une femme, sans mots», dit Arden Oplev.


Dans le tandem, Lisbeth tient le haut du pavé sur le journaliste, interprété par l’un des comédiens les plus populaires de la Suède, Michael Nyqvist. «Je voulais montrer un homme qui a beaucoup d’empathie, qui est de bonne écoute et qui est très intelligent. C’est comme jouer le docteur dans Elephant Man: c’est très difficile», croit le comédien.


Un succès à suite
Face à l’évident succès de la franchise, les producteurs (Yellow Bird) ont également mis en images les deux autres tomes de la série – La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette et La reine dans le palais des courants d’air. Tournés dans le but d’être diffusés à la télé, ils sortiront finalement au cinéma à l’automne, en Suède.


Malgré l’indéniable attrait du projet – pour les maniaques de la série du moins –, on sent, en discutant avec le réalisateur, un certain recul critique par rapport à Millénium. «Quand on m’a demandé de venir en Suède réaliser un thriller, j’ai dit: non merci ! Les thrillers n’ont pas la meilleure réputation au Danemark: ils sont toujours faits pour la télévision, c’est un gros marché. Bref, je ne voulais pas faire un thriller suédois traditionnel», explique, en riant, le réalisateur.


Un an plus tard, les producteurs sont revenus à l’attaque. Le Danois s’est laissé fléchir. «J’ai lu le livre et l’ai trouvé fantastique, dit-il. J’ai trouvé cela très spécial c’est un drame plus qu’un thriller, il a d’excellents personnages.» Il a signé, non pas pour la série, mais pour un film seulement. «De l’écriture, à la préparation et au tournage, tout était trop serré. Je crois que quand on s’éparpille, on fait un mauvais travail. J’ai préféré me concentrer et faire un bon film», explique-t-il.


Dur en affaires, Niels Arden Oplev a imposé un format long (2 h 20 plutôt que 1h30), un casting et «le dernier mot sur tout» même au montage. «Sinon, je ne l’aurais pas fait, rit-il. Et je peux vous dire que j’en ai eu besoin à plusieurs reprises.» Autre parti pris du réalisateur: montrer la violence telle qu’elle apparaît au lecteur dans le livre.


«Je crois que la violence dans le film et contre les femmes, cela doit être montré de façon terrifiante, dégoûtante, estime-t-il. Si j’avais fait quelque chose de joli, de divertissant, cela aurait été mal. Cela aurait été trahir les femmes et trahir Stieg Larsson. Le film a une portée critique, sur la violence et le sort des femmes. Le film ne pouvait pas faire l’impasse là-dessus.»


Si ce premier Millénium est un succès indéniable sur le plan des ventes et auprès des spectateurs, il a reçu un accueil critique plutôt tiède en France notamment. Au Québec, où il sortira sur environ 45 écrans, le distributeur Alliance Vivafilm croit dans les chances de succès du film. «Nous sommes le premier territoire à sortir le film hors de l’Europe, dit Patrick Roy, le président d’Alliance Vivafilm. Mais je ne lance pas un film suédois au Québec, plutôt l’adaptation d’un immense succès de librairie au Québec. C’est ça, le phénomène.»

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Millénium prend l’affiche le 29 mai au Québec.