Elle n'a plus le nez percé de tout bord tout côté, ni le dos tatoué d'un immense dragon, ni le regard noirci au khôl ultra gothique comme Lisbeth Salander.

Mais Noomi Rapace, l'actrice suédoise qui interprète la féroce hacker antisociale de Millénium, le film, sorti en salle vendredi au Québec, arrive à l'entrevue toute de noir vêtue, comme son personnage. Avec des bottes lourdes malgré la chaleur du soleil de fin de mai dans la capitale suédoise. Et ses grandes lunettes fumées - un modèle pour homme d'une griffe suédoise, The Local Firm - lui donnent autant un air de star que de dure à cuire.

Elle est menue mais pas fragile. Et dès son arrivée au restaurant, elle commande un tartare de boeuf qui arrive sur notre table coiffé d'un énorme jaune d'oeuf cru. «Oui, je mange», dit-elle en riant quand je lui fais remarquer que ce n'est pas très hollywoodien comme repas. «Et non seulement je mange, mais je mange de la viande rouge!»

Noomi Rapace, 29 ans, encore tout récemment inconnue sur la scène internationale, n'était guère plus connue en Suède, où elle gagne pourtant sa vie comme actrice depuis 10 ans. Et puis est arrivé Millénium, le film, un immense succès depuis sa sortie ici en février, et en mai en France. Soudainement, sa vie a basculé. La tournée de promotion «a été un véritable cirque, à Paris et à Cannes», dit-elle. Partout, on s'arrache Noomi. Il faut dire qu'à peu près tous les critiques s'entendent: elle crève l'écran dans cette production suédoise des best-sellers de feu Stieg Larsson.

Dès les premières images, sans même qu'elle ait ouvert la bouche, on reconnaît la Lisbeth qu'on a imaginée. Dans la dureté du regard, surtout. Dans cette colère encapsulée à l'intérieur d'un corps minuscule et frêle comme une Kalachnikov.

En fait, Noomi incarne réellement le personnage. Lui donne chair. La met sur pied. «Je voulais la rendre plus réaliste. Dans le livre, il y a des côtés un peu caricaturaux à son personnage. Je tenais à la rendre crédible.»

Dans les romans, par exemple, on laisse entendre que Lisbeth est anorexique, ce que Noomi n'est pas, ni dans la vie, ni dans le film.

«J'ai perdu du poids, j'ai fait du kick-boxing pendant des mois et j'ai pris des cours de conduite de moto pour devenir Lisbeth. Et je me suis demandé si je devais aussi devenir anorexique, mais je me suis dit que ça ne serait pas réaliste. Les corps anorexiques sont fragiles. Ça ne marchait pas. On ne peut pas être sous-alimentée et avoir toute la force qu'elle a.»

Souvent la conversation revient sur cette force, cette colère, sur le désir de vengeance et la violence du personnage et sur nos sentiments mélangés, de spectateur, par rapport à elle. Doit-on ou pas vouloir s'en approcher? «Moi, je crois qu'elle pourrait être mon amie, dit-elle. Je crois qu'elle est très loyale, prête à tout pour ceux qu'elle aime. Et comme elle, j'ai besoin d'espace», dit la jeune actrice, qui précise qu'elle ne comprend pas du tout ces personnages féminins aux amitiés envahissantes à la Sex and The City. «Mais c'est sûr qu'elle ne peut pas être un modèle, avec toute cette violence.»Toutefois, l'actrice admire sa capacité de tourner sa colère vers les autres plutôt qu'elle-même. «C'est plus sain que ce qu'on fait trop souvent, quand on reste là à se blâmer soi-même.»

Et puis, on est dans la fiction... Et l'agressivité ne joue-t-elle pas depuis toujours un rôle cathartique central au théâtre, au cinéma et dans la littérature? Si Rambo ou Jack Bauer peuvent régler leurs problèmes violemment, pourquoi pas Lisbeth?

«Tout le monde, je suis sûre, a une sorte de monstre en soi», ajoute Noomi. Un monstre qui se dévoile parfois quand la façade tombe. «J'ai toujours aimé travailler sur ces tensions entre les extérieurs polis et la perte de contrôle.»

D'ailleurs, explique-t-elle, elle ne se sent pas à sa place en Suède, où on aime bien le contrôle. «Ici, l'énergie est tiède», dit-elle. «On cherche à cacher, à être courtois, à calmer, à trouver des compromis. Moi je crois que les conflits sont créateurs.»

Noomi Rapace en quatre temps

> Vrai ou faux, le tatouage? Faux. Conçu par un spécialiste des faux pour le cinéma, le même qui fait ceux de Prison Break. La vraie Noomi n'a aucun tatouage. Mais il lui reste de miniatures cicatrices de ses piercings de jeunesse sur le nez et le sourcil.

> La vraie Noomi ressemble-t-elle à Lisbeth? Un peu. Elle a déjà été punk. Sa vie n'a pas toujours été facile. Elle a très peu connu son père et est partie seule à 15 ans pour aller vivre à Stockholm. Elle est têtue aussi et a failli faire tomber le film en refusant de tourner une scène où Lisbeth ouvrait son coeur... «À la place, le personnage dit simplement merci et ça, pour elle, c'est comme dire je t'aime.»

> Prochain projet: Le rôle principal dans un film réalisé par Pernilla August, une actrice suédoise (Star Wars) qui fait ses débuts comme réalisatrice. Ensuite, il est question d'un long métrage avec le réalisateur français Barthélémy Grossman, qui pourrait l'amener en tournage au Québec.

> D'autres bébés (elle a déjà un fils de 5 ans), une vie en Suède? «D'autres enfants, oui. La Suède, je ne sais pas. Ici, je me sens toujours un peu comme l'extraterrestre.»