Avec L'heure d'été, le plus «taiwanais» des cinéastes français revient chez lui pour réfléchir aux questions d'enracinement et de patrimoine culturel. De l'avis d'Olivier Assayas, il y a tout lieu de s'inquiéter.

Au départ, il y a eu cette proposition du Musée d'Orsay. La célèbre institution muséale parisienne souhaitait souligner son 20e anniversaire en commandant un film à quatre cinéastes différents, lesquels auraient chacun réalisé un court métrage dans le cadre d'une oeuvre collective. Le projet est tombé à l'eau. L'idée fut cependant assez forte pour inciter Hou Hsiao Hsien et Olivier Assayas, deux des cinéastes contactés par le Musée, à en faire des projets autonomes. Le voyage du ballon rouge (toujours inédit au Québec) et L'heure d'été évoquent notre rapport à l'art et sa pérennité de façon différente. Ils partagent aussi - par hasard - une même actrice: Juliette Binoche.

Après trois films tournés loin de chez lui (Demonlover, Clean et Boarding Gate), Olivier Assayas avait envie de retrouver ses racines et de réfléchir à la question du patrimoine culturel.

«De façon plus pragmatique, je voulais voir comment cela se passe à l'intérieur d'une même famille, expliquait l'auteur cinéaste au cours d'une interview accordée à La Presse l'hiver dernier. Que fait-on des objets d'art que possède une personne récemment disparue dans une société qui se transforme à la vitesse de l'éclair? Autrement dit, que fait-on de nos racines, de notre histoire, de notre culture dans un monde où toutes ces questions semblent susciter de moins en moins d'intérêt?»

Selon Assayas, les Européens, traditionnellement plus enracinés, étaient à cet égard plus conscients de la préciosité d'un patrimoine familial que les Nord-Américains, plus mobiles. «Mais la nouvelle conjoncture économique, la mondialisation des marchés et la profonde transformation du monde professionnel ont fait en sorte que les Européens se trouvent de plus en plus coupés de leurs racines eux aussi. Dans mon film, le benjamin vit à Shanghai par obligation professionnelle depuis quelques années et il y a fondé une famille. D'une certaine façon, il se fout désormais complètement de la France. Même si ses enfants parlent français à la maison, ils font néanmoins toutes leurs études en anglais. Ils sont beaucoup plus près de la culture de San Francisco que de celle de Paris!»

Une indifférence préoccupante


Le propos de L'heure d'été s'articule ainsi autour de la réunion de trois enfants (Charles Berling, Juliette Binoche et Jérémie Rénier), provoquée par la mort de leur mère, laquelle a consacré toute son existence à la préservation de l'oeuvre d'un oncle peintre. Forcément, chacun possède une vision différente de la façon dont doit être géré un patrimoine artistique «encombrant».

«Du coup, le thème de la valorisation de la culture s'est très vite imposé», observe Olivier Assayas. Qui, comme plusieurs de ses contemporains, s'inquiète.

«Je ne serais certainement pas aujourd'hui la personne que je suis si je n'avais pas été formé par la littérature et par l'histoire. Je fais partie d'une génération où, même fragile, la culture avait encore son importance. Aujourd'hui, nous vivons dans un monde où la culture n'est plus valorisée, pas plus que notre rapport à la langue. La question me préoccupe d'autant plus qu'elle n'a l'air d'inquiéter personne!»

Lors de la sortie de L'heure d'été en France, en mars 2008, l'auteur cinéaste s'attendait à ce que les thèmes abordés dans le film suscitent sinon un débat, du moins une discussion.

«Même si le film a très bien marché auprès du public, j'ai dû constater, à mon grand étonnement, que non. On ne débattait pas de ces choses-là. Il n'y a pas eu de polémique du tout, pas plus que d'effet d'entraînement. Il faudra pourtant bien qu'on en parle un jour!»

L'ancien critique des Cahiers du cinéma, qui a beaucoup écrit sur le cinéma asiatique dans les années 80, dit être par ailleurs toujours très proche du cinéma qui se crée là-bas. Ne se trouvant d'ailleurs aucune affinité avec les cinéastes français des années 80, Assayas s'était forgé une famille taiwanaise avec Edward Yang, Hou Hsiao Hsien et Tsai Ming-Liang.

«Jusqu'à L'heure d'été, dit-il, je n'avais jamais encore eu l'impression de faire mon film «taiwanais»! Là, je le revendique d'autant plus que le film s'est fait en parallèle à celui de Hou. Je reviens à une matière très locale où il y a ce rapport à la nature, au temps, à la modernité. Ce sont des thèmes communs. Je vois aussi L'heure d'été comme un épilogue contemporain des Destinées sentimentales. Il y a très certainement des échos entre les deux films.»
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L'heure d'été est présentement à l'affiche.

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