Elle lit Sartre. Est fascinée par la Nouvelle Vague française. Rêve de jouer devant la caméra de David Lynch ou de Lars von Trier. Elle a 21 ans et plus de 80 films à son actif - mais The Girlfriend Experience de Steven Soderbergh est son premier film grand public: elle est... la "prom queen" du porno. Bienvenue dans le paradoxe Sasha Grey.

Un paradoxe séduisant et intrigant... qui a séduit et intrigué Steven Soderbergh. Assez pour qu'il décide, en 2006, de parler d'elle dans un article. "Ce qui l'a frappé à mon sujet, c'est que, s'il se fiait à ce qu'il avait lu sur moi, j'étais la seule actrice porno qui avait des buts à long terme. Enfin, c'est ce que j'ai appris en participant à une table ronde avec lui, il y a quelques semaines, parce que... je n'aime pas parler de moi comme ça", fait-elle en riant, lors d'une entrevue téléphonique accordée à La Presse.

C'est pour cela, parce qu'elle vise loin (et haut), que le réalisateur de Traffic a pensé à elle pour interpréter Chelsea dans The Girlfriend Experience - un film expérimental dans la lignée de Bubble et non de Ocean's Eleven -, où l'on suit une escorte de Manhattan qui offre à ses clients l'expérience "complète" de la petite amie: on va au lit mais on ne va pas qu'au lit, on va aussi au cinéma ou au resto, on parle ou on fait les boutiques; bref, on fait ce que font les couples "amoureux". Un job lucratif et agréable. Jusqu'au jour où les choses se mettent à tourner moins rond pour la belle, sur les plans personnel et professionnel.

"Par mon ambition, je ressemble à Chelsea. Mais les points communs arrêtent là. Elle est vaniteuse... Bon, je le suis un peu, je suis une femme, admet Sasha Grey en éclatant de rire, mais Chelsea possède aussi ce genre de personnalité qui se cherche des excuses. Je ne suis pas comme ça. Si nous ne sommes pas d'accord, je serai très heureuse de vous dire que vous avez tort et de vous expliquer pourquoi j'ai raison."

Sa franchise désarme. Pas de détour, par exemple, pour expliquer comment elle en est venue au film "pour adultes": "À l'époque du collège, je me suis mise à regarder beaucoup de films pornos. J'aimais vraiment ça, comme spectatrice. Puis j'ai vu là un moyen d'explorer me sexualité de manière contrôlée et sécuritaire, et, en même temps, une façon d'encourager les hommes et les femmes à ne pas avoir honte de leur sexualité. Et, aussi, j'ai vu là une manière de lancer un défi à l'industrie."

Une industrie où, affirme-t-elle, il est trop facile de prendre une caméra et de se dire réalisateur. "Je suis persuadée que la pornographie peut être artistique, si vous essayez un peu." Elle, fait plus qu'essayer: elle a fondé sa propre entreprise, à ses couleurs et croyances. Grey Art. L'idée: produire ses propres films pour adultes. Tout en ne faisant pas que ça: elle espère alterner avec des longs métrages grand public. On pourra d'ailleurs la voir dans le film canadien Smash Cut, dont la première mondiale se fera à Montréal en juillet, dans le cadre du festival Fantasia.

Parce que Sasha Grey aime jouer... pas que de son corps "J'ai pris des cours de théâtre de 12 à 18 ans" et improviser. C'est cette corde à son arc que Steven Soderbergh a utilisé dans The Girlfriend Experience, où elle est entourée de non-acteurs et où il n'y a aucune scène de sexe. "Je pense que Steven a compris que ça n'était pas de mise après une semaine de tournage."

Car le scénario n'en était pas vraiment un. Une quinzaine de pages, sur lesquelles étaient inscrits les objectifs de chaque scène. "Nous arrivions le matin, nous lisions les journaux, nous discutions et tout cela alimentait l'histoire." En effet, le krach économique et les élections présidentielles sont en toile de fond du film puisqu'ils faisaient l'actualité au moment du tournage.

"J'ai adoré être dirigée par Steven. Il a différentes approches pour chaque scène, on peut voir les rouages tourner sans cesse dans sa tête." Il en va de même dans celle de Sasha Grey - qui a pris ce nom de famille en référence au Dorian Grey d'Oscar Wilde et à la zone "grise" qui se trouve entre l'hétérosexualité et l'homosexualité sur l'échelle de Kinsey.

Puisque, non, Grey n'est pas son véritable nom de famille. "Je suis d'origine grecque", lance-t-elle. D'ailleurs, elle rêve (aussi!) d'apprendre la langue de ses ancêtres. De même que le français, ça, sans trop savoir pourquoi. "Depuis toujours, je suis fascinée par la culture française. C'est si romantique, Paris, la nourriture..."

C'est ça, le paradoxe Sasha. Et probablement beaucoup plus.