Une comédie musicale sur le racisme? Voilà le pari quasi insensé que s'est donné Étienne Chatiliez en entraînant dans sa folle aventure Valérie Lemercier et Anthony Kavanagh. Forcément, le film fait jaser...

Étienne Chatiliez est un cinéaste méticuleux. Le réalisateur de Tanguy a mis pas moins de quatre ans pour élaborer Agathe Cléry, une comédie musicale sur le racisme, dont la vedette est Valérie Lemercier. La rencontre entre le cinéaste et la comédienne a failli avoir lieu sur le film précédent (La confiance règne), mais le destin en a décidé autrement.

«Je suis plutôt contente qu'il en soit ainsi, a confié l'actrice au cours d'une interview accordée à La Presse dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français, un événement organisé par Unifrance. Même si j'ai été un peu meurtrie après avoir appris qu'il ne m'avait pas choisie pour l'autre film, je suis heureuse de la tournure des événements. Étienne m'a finalement donné le rôle le plus exigeant de ma carrière d'actrice.»

Agathe Cléry, le personnage qu'elle incarne, est raciste. Pas de façon spectaculaire. Mais le petit fond est là, ordinaire et assumé. C'est une professionnelle. Elle dirige le service marketing d'une collection de cosmétiques pour «peaux claires»...

Sa vie bascule le jour où on lui annonce qu'elle est atteinte de la maladie d'Addison. Peu à peu, la pigmentation de sa peau change. Au point où elle devient noire.

Dès le départ, Chatiliez a eu l'idée de raconter cette histoire sous la forme d'une comédie musicale.

«Une amie m'a suggéré ce sujet en évoquant l'histoire d'une femme qui avait été atteinte de cette maladie en Afrique du Sud, à l'époque de l'apartheid, explique le cinéaste. Elle en est d'ailleurs devenue folle.»

Un sujet aussi délicat prête évidemment flanc à tous les dérapages. D'autant plus que la forme empruntée ici n'est pas très habituelle. «Mais ces deux éléments, en apparence très opposés, se complètent bien finalement, observe le cinéaste. La comédie musicale donne au propos un aspect plus léger, tandis que les thèmes donnent du fond au genre.»

Le récit étant ainsi ponctué par plusieurs numéros musicaux, les acteurs ont évidemment dû s'astreindre à une discipline d'enfer, Valérie Lemercier en tête.

«Ça tombait bien, je cherchais depuis des années un prétexte pour m'entraîner! J'ai toutefois trouvé pénible l'obligation de me regarder constamment dans un miroir. Les vrais danseurs y sont habitués, car ça fait partie de leur travail. Moi pas. Je déteste ça. Dans les salles de spectacles, je demande toujours à ce que les vitres des régies installées au fond de la salle soient recouvertes pour éviter d'y voir mon reflet. Sinon, je suis incapable de faire le spectacle. J'ai besoin de m'oublier pour entrer dans mes personnages. Il m'est impossible de le faire quand je me vois.»

De surcroît, l'actrice a dû subir des séances quotidiennes de maquillage d'une durée de trois heures (en plus de deux heures pour se démaquiller).

«Mais j'ai été heureuse de faire tout cela pour un aussi beau rôle. En plus, on m'a donné l'occasion de jouer une amoureuse. Bien entendu, je sais ce qu'est ce sentiment dans la vie, mais jamais n'avait-on pensé à moi pour l'exprimer au cinéma!»

Une critique assassine

À sa sortie à la fin de l'an dernier, Agathe Cléry a trouvé un écho auprès du public français (environ 1,5 million de spectateurs), mais la critique s'est en revanche montrée impitoyable.

«Très franchement, je n'ai pas bien compris le crime qu'Étienne avait apparemment commis, raconte Valérie Lemercier. Je n'ai pas tout lu, mais le sens était toujours le même. Chaque papier était truffé d'attaques personnelles dirigées vers Étienne. J'ai trouvé cela incroyablement injuste.

«D'autant plus que les critiques parisiens n'ayant pas eu droit à des projections de presse, ils se sont permis d'en rajouter une couche rayon méchanceté!» ajoute Anthony Kavanagh, le protagoniste masculin du film (voir texte ci-haut).

Le principal intéressé a évidemment dû encaisser le coup. Il faudra encore plus de recul pour analyser le phénomène, mais Chatiliez essaie quand même de trouver une explication.

«Je crois que les critiques ont eu du mal à accepter ma volonté de proposer quelque chose de différent, avec un thème plus positif. Si le même film avait été réalisé par quelqu'un d'autre, peut-être auraient-ils été moins virulents dans leurs propos.

«Et comme je doute toujours, poursuit-il, je me suis posé des tas de questions, sans jamais trouver des réponses définitives. Quand quelqu'un me dit que ce que je fais n'est pas bien, j'ai toujours tendance à croire qu'il a raison.»

Valérie Lemercier, elle-même réalisatrice (Palais Royal), souscrit au questionnement d'un cinéaste qu'elle admire.

«Ce genre de chose est plus facile à vivre pour ceux qui sont devant la caméra, car ils ne portent pas la responsabilité artistique d'un film sur leurs épaules, fait remarquer la comédienne. Les acteurs sont relativement épargnés. Pour moi, Agathe Cléry demeure l'une des expériences professionnelles les plus fortes de ma carrière.»

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Agathe Cléry prend l'affiche aujourd'hui. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.