La Mostra a tourné le dos mercredi à son image de festival de cinéma engagé et critique, en ouvrant sa 66e édition avec Baaria, une fresque indigeste qui édulcore l'histoire tourmentée de la Sicile, financée par le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi.

«Un chef d'oeuvre absolu que je conseille à tous les Italiens d'aller voir», c'est ainsi que le Cavaliere a décrit ce film, produit par son groupe Medusa-Mediaset pour 25 millions d'euros et déjà vendu dans le monde entier.

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Les organisateurs de la Mostra (2-12 septembre) ont démenti sa venue à la cérémonie d'ouverture mercredi soir, mais un dispositif de sécurité renforcé sur le Lido, accréditait cette rumeur.

Un portrait au vitriol de Berlusconi, Videocracy d'Erik Gandini est au programme pendant la Mostra mais lors de deux manifestations parallèles, Venice Days et la Semaine de la critique.

Son fils Pier Silvio, dirigeant de Mediaset, était lui attendu sur le tapis rouge aux côtés d'une trentaine d'acteurs de Baaria. Le film a été fraîchement accueilli, certains critiques désertant la projection de presse.

Pharaonique, le tournage étalé sur deux ans a mobilisé 35 000 figurants, 200 techniciens et 1431 musiciens pour interpréter la musique signée d'Ennio Morricone, selon les notes de production.

Filmé en Tunisie où a été recréée la Sicile des années 1910 à nos jours, Baaria brasse les souvenirs d'enfance du cinéaste Giuseppe Tornatore, 53 ans, auteur de Cinéma Paradiso, Oscar du meilleur film étranger en 1990 et surtout sa nostalgie pour son village natal: Bagheria (Baaria en sicilien).

Tourné en dialecte sous-titré en italien, il suit trois générations d'une famille modeste aux convictions communistes.

Pauvres mais jeunes et beaux, Peppino (Francesco Scianna) et Mannina (le mannequin d'origine sicilienne Margareth Madé, dans son premier rôle) se marient malgré les réticences de la famille: communiste, Peppino est mal vu.

Forte tête rebutée par l'injustice, analphabète, le gentil Peppino devra son ascension politique locale au PC.

Assagi après avoir fait cinq enfants à Mannina, il deviendra «réformiste».

«Le réformiste veut sauver le monde grâce au bon sens. Il sait que si l'on se frappe la tête contre un mur, c'est la tête qui cède», dit-il à son fils.

Lors d'une conférence de presse, Tornatore a jugé cette formule «utile à la réflexion sur le rôle de la gauche aujourd'hui».

«Le passé nous a appris que tenter d'obtenir tout, tout de suite, cela mène à l'impasse. Aujourd'hui, on doit accepter de vivre avec ceux qui ne pensent pas comme nous, alors que dans les années 1950 on ne se parlait même pas».

Bon enfant voire simpliste et baigné de sentimentalisme, Baaria frappe par sa vision quasi folklorique de la Sicile - au peuple miséreux mais noble, aux paysages de carte postale invariablement baignés de lumière dorée... Surtout, le film édulcore tout enjeu politique.

Mafia, corruption, injustices sociales, rivalités idéologiques apparaissent dans de brefs tableaux à visée édifiante, vite balayés par des scènes intimes au pathos appuyé (agonie du père, accouchement...).

Accusé l'an dernier par des membres du gouvernement italien de ne pas assez mettre en valeur le cinéma national, le directeur artistique Marco Müller lui a fait la part belle dans cette Mostra 2009.

Outre Tornatore, la fille du cinéaste Luigi Comencini, Francesca, dévoilera Lo Spazio Bianco tandis que Michele Placido (auteur de Romanzo Criminale) montrera Il Grande Sogno et Giuseppe Capodonti, La doppia ora.

Les Américains Michael Moore et George Romero, l'Allemand Werner Herzog ou le Français Jacques Rivette font aussi partie des 24 cinéastes en lice pour le Lion d'or.