Son style comme ses créations sont connus partout dans le monde. Pourtant, avant de révolutionner la mode, Coco Chanel s'est révolutionnée elle-même. Dans Coco avant Chanel, la réalisatrice Anne Fontaine revient sur le moment d'éclosion du talent d'une jeune fille promise à tout sauf à un brillant avenir. Dans la peau de la célèbre Mademoiselle, Audrey Tautou revient en force au grand écran. Anabelle Nicoud a rencontré Anne Fontaine et Audrey Tautou.

Quand l'une des plus célèbres comédiennes françaises se glisse dans la peau d'un mythe, cela donne un film présenté tambour battant autour du monde. Entre le Japon et New York, Audrey Tautou et Anne Fontaine ont fait une courte escale à Montréal le week-end dernier. Audrey Tautou, le visage mutin d'Amélie Poulain, a grandi. Pour Anne Fontaine, elle est Gabrielle Chanel, ou plutôt Coco: la femme qui, partie de rien, a révolutionné le monde de la mode au XXe siècle.

Orpheline, élevée par les soeurs dans un couvent au milieu de nulle part au tournant du siècle, Gabrielle Chanel n'avait a priori rien qui la destinait à devenir une star de la haute couture, la mère de l'une des maisons de couture les plus prestigieuses au monde, l'inventrice d'un style encore aujourd'hui indémodable.

Personnage «romanesque» que cette Coco Chanel, juge Anne Fontaine. Pour Chanel, la réalisatrice de films plus contemporains (Nettoyage à sec ou le récent La fille de Monaco) a tourné son premier film biographique et classique. «C'est un personnage qui intrigue, une pure autodidacte», croit Anne Fontaine.

>>Lire également le billet de Mario Girard (Chanel, pute ou génie?) et sa bibliographie Coco Chanel.

D'abord chanteuse dans un «beuglant» de Moulins, Gabrielle Chanel quitte sa région natale grâce à un aristocrate fantasque qui l'entretient, Étienne Balsan (interprété par Benoît Poelvoorde). Aspirante actrice, elle se refuse toutefois à devenir une cocotte ou une demi-mondaine. Jeune, elle se vante, citant Jules Renard, d'avoir «le dégoût très sûr».

«Durant cette période, elle est courtisane: il y a un paradoxe entre son désir de liberté et la dure réalité économique. Elle utilise ce point de départ pour en faire une force. Chez Balsan, elle découvre la femme différemment habillée, elle découvre un rapport au sport, à la vie. C'est passionnant pour l'élaboration d'un mythe», croit Anne Fontaine.

La jeune Coco n'est pas encore la dure Mademoiselle. Audrey Tautou a donc eu tout le loisir de composer un personnage qui ignore encore qui elle est. «Le plus intéressant, et le vrai défi, était d'essayer de proposer une Chanel encore en construction et de l'amener vers celle que l'on connaît, dont les gens ont une image assez précise», explique Audrey Tautou.

La comédienne, absente du grand écran depuis Ensemble c'est tout de Claude Berri, donne pour la première fois chair à un personnage réel. «Quand on doit interpréter un personnage connu, dont on a des images, on peut facilement vouloir tomber dans le mimétisme. Mais là, compte tenu de la période qu'on traitait, ça aurait été complètement erroné. À 20 ans elle n'était pas la même qu'à 45 ans», dit Tautou.

Tautou, le visage de Chanel

Dès les balbutiements du projet Coco avant Chanel, Anne Fontaine a pensé à Audrey Tautou pour incarner Chanel -la comédienne est aussi devenue le visage du parfum No5. «Audrey a ce mélange de charisme, de chic français. Je me suis dit «c'est incroyable, j'ai une actrice qui ne va pas imiter mais être Chanel»», dit Anne Fontaine.

Regard noir, pommettes saillantes et silhouette très frêle, Audrey Tautou dégage beaucoup d'assurance. L'actrice est loin de la timidité fraîche des personnages qui l'ont rendue célèbre et plus proche, peut-être, de la détermination de son personnage de Coco Chanel.

«Moi, je ne voulais pas aller dans les clichés, dans une composition trop radicale. J'avais envie d'essayer de l'aborder de l'intérieur et pas de l'extérieur, de chercher à dévoiler son coeur et son chaos intérieur. Ces gestes et son attitude me sont venus presque naturellement. Je ne les ajoutais pas», dit-elle.

Seule exigence de la production: créer des costumes au plus près du style Chanel. «On a rétroactivé le style Chanel. Avec Catherine Leterrier, on a essayé de trouver le moment où elle a ce regard. On ne comprend pas le style Chanel si on ne comprend pas qu'elle est la première femme androgyne», croit Anne Fontaine.

La maison de la rue Cambon a tout de même prêté main-forte au film en autorisant la production à emprunter quelques créations de Coco Chanel pour la scène finale. Tautou, en tailleur blanc des années 70, est assise dans les célèbres escaliers de la maison et regarde défiler les mannequins.

«À la fin du film, ce sont des vêtements faits par elle-même. Ce n'est pas un défilé naturaliste. C'est une vision anticipée des choses qu'elle a créées dans les années 20, 30, 40, 50. J'aimais le défilé allégorique. Elle est à l'aube du mythe, d'ailleurs j'ai vêtu Audrey Tautou d'un tailleur blanc que Chanel portait à 70 ans. C'est une façon d'embrasser quelque chose sans être scolaire», croit Anne Fontaine.