Spike Jonze a longtemps hésité et plus d'une fois refusé d'adapter au cinéma le livre-culte de Maurice Sendak, Where the Wild Things Are. Puis, un jour, il a trouvé la clé qui lui manquait pour s'approprier l'histoire et en faire son film: les monstres du livre devaient incarner les émotions qui peuplent l'esprit d'un garçon de 9 ans. Sept ans de travail acharné et l'imagination débordante du cinéaste ont fait le reste et donné naissance à un film sur l'enfance comme on en voit rarement.

Where the Wild Things Are
n'est pas un film pour enfants au sens où on l'entend en général. On y suit certes les aventures d'un garçon de 9 ans, Max, turbulent et parfois victime de ses émotions ou de son imagination, mais le film n'a pas été coulé dans le moule des bons sentiments ou de la morale, comme c'est le cas la plupart du temps. Where the Wild Things Are est en ce sens volontairement bien plus près des 400 coups de François Truffaut que de n'importe quel film produit par Disney.

«Je voulais trouver une façon de raconter ce que c'est que d'avoir 9 ans, explique le réalisateur Spike Jonze en entrevue. Je ne voulais pas faire un film pour les enfants, mais un film sur les enfants. Un film qui a du mordant et qui salue l'intelligence de l'enfance.»

Le cinéaste de Being John Malkovich n'a donc pas hésité à plonger dans la tête de Max, pas plus qu'il ne s'est retenu de montrer les changements d'humeur parfois violents de ce petit bonhomme capable de saccager la chambre de sa grande soeur simplement parce qu'il est en colère contre elle.

Comme le livre connu en français sous le titre Max et les Maximonstres, donc, le film raconte l'histoire de Max, qui à la suite d'une dispute avec sa mère, voyage jusqu'à l'île des Maximonstres. Là-bas, le garçon devient le roi d'une poignée de monstres poilus et cornus après leur avoir promis de bâtir un monde où ils seront tous heureux. Mais Max saisira rapidement la difficulté de la tâche qu'il s'est donnée. Et apprendra peu à peu à mieux comprendre et gérer ses émotions.

Where the Wild Things Are, le livre, ne compte qu'une vingtaine de phrases et à peu près autant d'illustrations. Sa beauté et sa simplicité lui ont donné toute sa force. Or, pour en faire un film qui dure plus d'une heure trente, Spike Jonze a dû «enrichir» le récit, sans trahir la vision de Maurice Sendak. Et l'idée qui lui a permis d'avancer, qui l'a au fond convaincu de tenter l'expérience, c'est de faire porter à chacun des sept monstres de l'histoire les émotions parfois contradictoires qui habitent un enfant comme Max.

«J'ai dit deux fois non à l'idée d'adapter cette histoire, raconte Jonze. Je ne voulais pas le faire pour le faire. Puis, une idée a finalement surgi du livre, celle de faire des monstres des représentations des émotions de Max. J'ai eu envie d'explorer ces émotions, ces sentiments. À partir de là, tout s'est mis en place.»

Carol, le monstre le plus présent du groupe, incarne ainsi la colère; KW a, elle, un appétit parfois destructeur pour la liberté; Judith voit toujours le mauvais côté des choses; Alexander se sent constamment rejeté; Ira - qui fait des trous partout - cherche quant à lui à donner un sens aux choses, à mettre de l'ordre; et ainsi de suite.

Pour tirer un scénario du livre, Spike Jonze a interrogé des dizaines d'enfants sur ce qui les mettait en colère ou les rendait joyeux, histoire de tirer sur les bonnes ficelles. Le cinéaste a ensuite fait appel à son ami Dave Eggers pour l'aider à coucher ses idées sur papier, ce qui a duré plusieurs mois. Spike Jonze a aussi sollicité la contribution des acteurs qui ont donné leur voix aux monstres, comme James Gandolfini (Carol), Catherine O'Hara (Judith) et Lauren Ambrose (KW).

«Au moment d'enregistrer les voix, nous pouvions bouger comme les monstres, raconte Forest Whitaker (Last King of Scotland), qui s'est glissé dans la peau d'Ira. Pour une scène de bataille, nous nous sommes lancé des petits pains à la figure. On s'est beaucoup amusés à cerner les personnages. Spike nous provoquait tout le temps et nous a même poussés à improviser par moments.»

C'est Max Records, aujourd'hui âgé de 12 ans, qui joue Max dans le film. Un rôle pour lequel Spike Jonze a cherché un interprète pendant un an, car il fallait trouver un enfant capable à la fois d'afficher un bouleversement intérieur et de lâcher son fou. «Le tournage a été très dur, parce qu'il fallait maintenir la pression sur Max, explique Jonze, mais j'ai voulu qu'on s'amuse aussi, que ce plateau soit un lieu formidable pour un enfant.»

«On a eu beaucoup de plaisir, se souvient Max Records, on jouait tout le temps.»

Au beau milieu de l'entrevue, d'ailleurs, un immense pet se fait entendre. C'est Max Records, avec la complicité de Spike Jonze, qui a déclenché un gadget pour mettre tout le monde mal à l'aise. Mais le coup est foireux et les deux comparses éclatent de rire. On devine l'ambiance sur le plateau.

Après des années de préparation, donc, pour trouver les bons acteurs et la meilleure façon de donner vie aux monstres (lire notre article Mettre au monde les Maximonstres), puis un tournage en Australie en 2006, l'aventure devait se conclure enfin l'an dernier. C'était sans compter sur un nouvel obstacle. Après quelques projections-tests, en effet, Warner a exprimé de sérieuses réserves sur le film et en a repoussé la sortie. Universal avait déjà tourné le dos au projet lancé il y a 12 ans par un groupe de producteurs parmi lesquels Tom Hanks et Maurice Sendak. Le film auquel Spike Jonze a consacré sept ans de sa vie était-il condamné à ne jamais voir le jour?

«Warner a eu peur du film que nous faisions, a raconté récemment Spike Jonze au magazine QG. Les responsables du studio ne s'attendaient pas à cela. Ce qu'ils ont vu n'était pas, selon eux, un film pour enfants.»

Un an plus tard, à la veille de la sortie du film, Spike Jonze sourit quand on lui parle des obstacles qui ont maintes fois menacé son projet.

«Ça n'a pas été facile, mais j'ai fait le film que je voulais faire, dit-il. Et si je me fie au nombre d'affiches que je vois partout, je pense que le studio est maintenant derrière moi. Et ce qu'il vend correspond au film, pas à l'idée qu'il s'en faisait avant.

Mais alors, qu'est-ce que le film raconte sur l'enfance?

C'est à vous d'y voir, se contente de répondre Spike Jonze à La Presse.

Mais avez-vous appris quelque chose sur l'enfance en le faisant?

Oui, oui, assurément. Mais pour l'instant, j'aurais vraiment du mal à mettre le doigt dessus.»

Chose certaine pour Catherine O'Hara, qui a prêté sa voix au monstre Judith, le film réussit mieux que la plupart des autres à montrer la «beauté sauvage» de l'enfance.

«Quand on est enfant, on est tous très sauvages, dit-elle. Puis, on rentre dans le rang et c'est vraiment triste. Bien sûr, on a besoin d'ordre dans la vie, mais la spontanéité de l'enfance est tellement belle, grandiose. Le film, comme le livre, le montre avec une simplicité, un naturel sans pareils à Hollywood.»

Where the Wild Things Are (Max et les Maximonstres, en version française) prend l'affiche le 16 octobre. Les frais de voyage de ce reportage ont été payés par Warner Bros.