L'Islam est-il soluble dans la musique punk? Le cinéaste montréalais d'origine pakistanaise Omar Manjeed répond à la question dans le documentaire Taqwacore, inspiré du roman du même nom, qui couvre la nouvelle scène hardcore musulmane aux États-Unis. Quand colère et confusion s'expriment par le rock.

Q Pourquoi avoir fait un film sur les punks musulmans?

R Je voulais sonder la réalité des jeunes arabes dans l'Amérique post-11 septembre. Beaucoup de ces jeunes vivent un profond malaise et un véritable conflit identitaire. Ils ne se reconnaissent ni dans le discours fondamentaliste, ni dans celui des grandes institutions islamiques, ni dans celui de CNN. Ils sont coincés entre tout cela et cherchent à faire entendre leur voix. Le punk était le véhicule parfait pour canaliser cet inconfort.

Q Ces groupes punk font-ils la promotion de l'islam?

R Ils aiment leur religion mais n'en font pas l'apologie. Ils ne sont pas comme les groupes de rock chrétien, dont le propos est essentiellement religieux. Je dirais plutôt que ce sont des musulmans qui font du punk, avec des chansons qui parlent d'eux, de leur confusion, du racisme dont ils sont victimes et de leur frustration à être tiraillés entre leur éducation religieuse et la culture américaine qui les entoure.

Q Ont-ils des revendications?

R Ils prônent une troisième voie, libérée de tout discours dogmatique. Ce qu'ils disent en gros c'est: vous pouvez être musulmans sans faire partie de la secte. Vous n'êtes pas obligés d'écouter les mollahs, si ce qu'ils disent ne parle pas à votre coeur. Pratiquez votre religion comme vous le sentez. Vivez-la pleinement, avec vos contradictions. Buvez et fumez si vous voulez, ça ne fera pas pour autant de vous de mauvais musulmans. Vous savez, nous sommes à un point dans l'Histoire ou l'Islam est devenu très conservateur. Cette nouvelle génération essaie d'ouvrir les valves.

Q Les orthodoxes doivent y voir un côté très subversif

R Bien sûr. Mais c'est une bonne chose. Il faut de la subversion pour créer le dialogue. Au moins, ces jeunes font preuve d'une certaine forme d'engagement.

Q Le taqwacore est-il un phénomène exclusivement américain?

R Pour le moment oui, mais ce discours interpelle de plus en plus de jeunes musulmans un peu partout dans le Monde, que ce soit en Iran, au Maroc ou en Malaisie. Vous savez, là-bas aussi, les jeunes sont coincés entre la religion et l'obsession de la culture américaine. Ils sont beaucoup plus occidentalisés qu'on le pense. Je suis convaincu qu'au moment où l'on parle, des jeunes au Moyen-Orient sont en train de «trasher» dans leur sous-sol.

Q Y a-t-il une possibilité que cette mixture explosive soit récupérée par des éléments plus radicaux, qui souscrivent à la philosophie no future du punk?

R Bonne question. Jusqu'à maintenant, la scène taqwacore s'avère plutôt pacifique. Ils rient des stéréotypes musulmans. Et s'ils vont à contre-courant, ils le font dans une certaine bonne humeur. Ils sont pour l'explosion des guitares, sans plus. Mais toute chose a son côté noir. Et effectivement, il est possible que des éléments plus sombres reprennent le discours à leur façon. Mais encore une fois, cela ne pourrait que provoquer un dialogue.

Q Quel avenir voyez-vous pour la scène taqwacore?

R Elle est encore en émergence. Mais à chaque spectacle, on voit de nouveaux visages dans le public. Surtout des jeunes filles. Cette troisième voie est particulièrement attirante pour elles, qui souffrent d'avantage du conservatisme propre à l'islam. Reste à voir comment tout cela sera reçu au Moyen-Orient. Nous sommes actuellement en discussion avec Al-Jazira. À suivre!

Taqwacore, the birth of Punk Islam prend l'affiche le 19 octobre au Cinéma du Parc, en version originale sous-titrée en français.