Absente des écrans de cinéma depuis quelques années, Isabelle Adjani revient aujourd'hui dans La journée de la jupe, un film de Jean-Paul Lilienfeld dans lequel elle incarne une enseignante en crise. En exclusivité pour La Presse, l'actrice a accepté de répondre par courriel à nos questions.

Q Vous n'avez pas été vue au cinéma depuis Bon voyage de Jean-Paul Rappeneau. Pourquoi une aussi longue absence?

R Le titre Bon voyage était peut-être prémonitoire: je voyage dans ma vie privée au risque peut-être de laisser l'absence s'installer. M'occuper des problèmes familiaux, tenter de réussir au quotidien ma vie sentimentale, rester connectée à la réalité des choses, des plus compliquées aux plus simples, c'est du plein temps. Et c'est important pour moi. Ce métier et ce milieu peuvent assez facilement vous mettre à distance des responsabilités humaines, familiales et civiques. Je ne suis pas faite pour vivre une vie imaginaire. J'ai besoin de rester dans la réalité, même quand elle est dure. Pour être plus près des miens, j'ai préféré la scène en interprétant Marie Stuart dans un théâtre parisien. Cela demande beaucoup d'énergie, croyez-moi! Rien ne remplace la rencontre physico-mystique avec le public quand le rendez-vous entre l'actrice, la pièce, et les gens est une réussite sincère!

Q Vous avez souvent pris position pour des causes humanitaires et sociales mais vous avez plus rarement prêté votre talent à des films abordant ces questions de plein front. Était-ce pour vous une motivation supplémentaire d'accepter la proposition de Jean-Paul Lilienfeld? Comme une occasion d'exprimer des choses sur des thèmes importants?

R Aujourd'hui, les artistes et aussi, malheureusement, ceux qu'on appelle les people sont sollicités à tort et à travers, et pour toutes causes confondues. Notre époque, très étrange, a perdu ses porte-parole légitimes. Intellectuels, philosophes, où êtes-vous? Alors demeurent pour faire «bouger», «mouvoir», ceux qui peuvent «émouvoir». Acteurs, actrices, nous voilà devenus des boosters de visibilité, avec la notoriété nécessaire pour faire émerger des questions sociales, sanitaires ou juridiques. Avec La journée de la jupe, une occasion s'est enfin présentée de m'impliquer socialement et politiquement en «interprétant», en devenant la parole et la chair.

Q Comment Jean-Paul Lilienfeld vous a-t-il présenté ce projet? Que vous a-t-il dit pour vous convaincre?

R Il m'a présenté le film comme une urgence et une évidence: une urgence parce qu'il avait travaillé, depuis plusieurs années, à observer la détérioration des conditions de travail des élèves et des enseignants, principalement dans les quartiers difficiles en France. Il souhaitait, plus que tout, réaliser une fiction sans complaisance sociétale, non consensuelle, sur la situation scolaire actuelle. Le film est une espèce de bilan d'urgence, de coup de poing dans la gueule, ouvert au débat, et même à la controverse houleuse! Ce qui m'a convaincue, c'est le traitement scénaristique sans angélisme, la détermination ultra documentée de Jean-Paul Lilienfeld, l'appel irrépressible que j'ai ressenti, vers un travail d'interprétation plus déstabilisant. J'y voyais un vrai défi. J'aime bien marcher sur mes propres plates-bandes et prendre des risques. C'est ça aussi être actrice!

Q La société actuelle vous inquiète-t-elle?

R Oui. Qui n'est pas inquiet de voir se défaire les grands idéaux de la République, et de les voir peu à peu recouverts par des voiles, des drogues et des coups de poing? Le viol de la démocratie préfigure le viol de l'intégrité des individus. En tout cas, je le crois. Le thème du sexisme existe dans cette Journée de la jupe où l'on voit les garçons se réfugier derrière de fausses croyances religieuses (une interprétation désastreuse de certains passages du Coran) pour jouer aux caïds et maltraiter les filles. Ces enfants, dont il est question dans l'histoire du film, sont les héritiers d'un passé refoulé, postcolonialiste. Cette fameuse fracture entre l'Algérie et la France occupe une place dans l'inconscient de cette classe. Ils apparaissent très isolés, peut-être même dans le cercle familial. Car c'est aussi à leurs aînés qu'ils s'opposent. Ils portent en eux, sans le savoir, la mémoire de leurs grands-parents sacrifiés et oubliés, et l'effacement de leurs parents au nom de l'intégration.»

Q Votre «retour» au cinéma n'a pas été publicisé du tout au moment du tournage du film. Pourquoi cette discrétion?

R Personne ne savait que je tournais, et c'était très bien! Travailler de cette façon, loin de toute pression, est un véritable soulagement. Il était important pour ce film, dont la vocation est d'apporter du «vrai», d'être seulement dans le travail, et pas dans la publicité de ce travail. C'était le passage obligé pour atteindre une vraie crédibilité, pour la justesse des situations. Mon ambition artistique, c'était qu'on m'oublie, moi, au profit de mon personnage. De toute façon, la discrétion est à mon sens un code moral qu'il faut défendre, surtout à l'ère de l'imposture people, de la vulgarité ambiante où il faut tout dire, tout montrer, tout avoir. À force de transparence, on ne voit plus rien du tout!

Q Dans La journée de la jupe, vous donnez principalement la réplique à de jeunes acteurs qui n'avaient jamais fait de cinéma auparavant. Comment avez-vous vécu cette expérience?

R Eux, ils avaient répété pendant deux mois et savaient leur texte au rasoir. Moi, je ne les ai rencontrés que le premier jour du tournage et... ils m'ont tout de suite appelée Madame! Nous avons gardé nos distances, c'était important pour le film. Je me suis plantée devant eux comme une prof de français, pas comme une actrice. Je pense que la plupart ne savaient pas qui j'étais. C'était bien comme ça. On n'était que dans le travail. Je n'ai jamais essayé de me rapprocher d'eux autrement qu'à travers notre travail mutuel. Je n'ai pas fait deux minutes de démagogie, pas même une! Pour moi, c'était essentiel. C'était la moindre des choses à leur donner en retour, eux, dont l'implication était totale et pas si évidente. Vous imaginez la somme de sentiments, de sensations, de complexités, enfouie, refoulée, qui était en jeu pour ces garçons et ces filles. Ils sont à la fois tellement sur la défensive et tellement tendres. En même temps, ils vous regardent droit dans les yeux, ils savent de quoi on parle. Il faut, comme ils disent, que «ça parle réel». Il y a une scène où je leur dis: «Il n'y a que l'école qui puisse vous permettre de vous en sortir», ils m'écoutaient, mais dans le genre: «Tu as intérêt à nous dire quelque chose qui sonne vrai! Tu as intérêt à ce que ce soit vrai parce que nous, on ne va pas faire semblant de t'écouter si tu ne nous intéresses pas!» C'était très clair. Ils sont vraiment vibrants d'authenticité et de vérité. Ils étaient tous courageux. J'ai beaucoup apprécié cette confrontation. Faite de respect, d'intimidation et de générosité.

Q Il fut récemment annoncé que vous avez accepté de jouer dans VK, un film réalisé par le Québécois Pierre Gill aux côtés d'Adrien Brody et de Rachelle Lefevre. Que pouvez-vous nous dire de ce projet dans lequel vous prêterez vos traits à la Grande Catherine II?

R Je ne peux pas en dire grand-chose. La production est entrée en contact avec moi. J'ai manifesté mon intérêt. Même si je n'ai encore rencontré personne, je peux dire que je serais très heureuse de travailler avec Pierre Gill et un partenaire talentueux comme Adrien Brody. Et aussi enchantée de jouer enfin une grande impératrice qui a régné brillamment sur le plus grand pays du monde. J'ai été reine mais répudiée (La reine Margot) ou décapitée (Marie Stuart), mais impératrice jamais... Quelle promotion! C'est classe!

La journée de la jupe est présentement à l'affiche.